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On croit voir, en lisant Horace, ce gros homme tout joufflu aux trois mentons superposés, aux quarante habits, roses, rouges, violets, pistache et vert-pomme, vendant des places, achetant des votes, retenant sa commission sur chaque marché conclu, se pavanant et se prélassant dans son trafic et dans son velours, écrivant tous les soirs le résultat de son commerce électoral et le transmettant à la postérité, ne varietur. C’était lui qui employait ses vieux habits de brocard à faire des tapis de pied, « si bien, dit Horace, que je reconnus à leur forme et à leurs boutons les poches de six habits de cour au bas de son lit de parade, qui était de damas jaune, surmonté de plumes d’autruche, teintes en vert. » C’était encore lui qui avait fait bâtir au premier étage une galerie à colonnes si lourdes, que la galerie descendit un jour au rez-de-chaussée. Il y a foule de ces personnages dans les livres d’Horace, entre autres le colonel Barré, l’enfant perdu de la chambre basse, celui qui se chargeait des exécutions périlleuses et des propositions extravagantes, sans compter Townshend et Saville, et tous les célèbres du temps. Bizarre vérité, combien rapidement se flétrissent les renommées politiques ! Marquis de Rockingham, ducs de Newcastle, lords Butes, lords Shelburne, et tant d’autres, qui de leur temps occupaient toute la renommée et envahissaient tous les esprits, on les retrouve chez Horace Walpole sous forme de momies, enveloppés de leurs vieilles intrigues comme de bandelettes fanées, qui exhalent, à mesure qu’on les déroule, une saveur de tombeau. Quelques maîtres-esprits, comme Chatham et Burke, lèvent leurs fronts vivans au milieu de ces ombres. C’est qu’ils ont pensé à l’avenir, et malgré leurs fautes (quel homme d’état n’en commet pas ?), ils ont eu le caractère du génie et le génie du caractère.

Horace Walpole est injuste pour ces deux hommes ; comme ils éclipsent son idole Robert, et que l’un par la volonté, la suite et la fierté, l’autre par le développement éloquent de ses théories philosophiques, s’élèvent à des hauteurs que Robert n’atteindra jamais dans l’histoire, Horace fait de son mieux pour les dénigrer et les rabaisser tous les deux. « Un nouvel orateur apparut, dit-il ; c’était Burke, Irlandais, d’une famille catholique, et marié à une personne de cette communion. Quelques ouvrages, entre autres un Essai sur le Sublime et le Beau, l’avaient fait connaître ; mais son peu de fortune l’avait déprimé, et son revenu le plus clair lui venait des libraires. Lord Rockingham, devenu premier ministre, fit de Burke son secrétaire, et bientôt l’adversaire de Rockingham, Charles Grenville, l’orateur aux discours sans fin, se trouva harcelé de la manière la plus vive, soumis à la plus ingénieuse