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actuels, une certaine aptitude à l’étendre par l’analogie, et un certain tact pour tirer de la langue française ce qui peut en passer dans la nôtre, sans choquer par une forte dissonance, et sans y apporter de l’obscurité. Ainsi, avec un travail plus pénible et plus opiniâtre, on fera le moins mal possible ce que chez vous l’on fait bien presque avec facilité. Je pense avec vous que bien écrire un roman en italien est une des choses les plus difficiles ; mais je trouve cette difficulté dans d’autres sujets, quoiqu’à un moindre degré, et avec la connaissance non pas complète, mais très sûre, que j’ai des imperfections de l’ouvrier, je sens aussi d’une manière presque aussi sûre qu’il y en a beaucoup dans la matière. »


Fauriel, à ces raisons ingénieuses, ne contestait qu’à demi ; il avait pourtant aussi de quoi opposer. L’Italie avait toujours eu ses grands écrivains ; comment serait-il dit qu’elle n’en aurait pas encore ? Était-il si fâcheux, après tout, d’être dans la nécessité de choisir et, jusqu’à un certain point, de former sa langue, de la tenir au-dessus des jargons du jour, et de la rapporter à un type supérieur qui s’appuie directement par un si large côté aux exemples des vieux maîtres ? La part faite aux difficultés réelles, restait toujours celle du talent Fauriel la montrait bien belle encore et bien grande ; il osait sans doute renvoyer à son ami un reproche qu’il en avait souvent reçu, et l’engageait à moins mesurer son travail sur un idéal de perfection qu’il n’est pas donné d’atteindre, même à ceux qui en ont le sentiment ; il lui rendait à son tour cette gracieuse guerre que Manzoni aimait à lui faire, sur son incontentabilité. Lui, en effet, dans ce qu’il produisait, il était incontentable sur le fonds, Manzoni l’est sur le style.

Circonstance remarquable et dont l’espèce de contradiction n’aura pas échappé ! Fauriel, qui, dans ses écrits français, était loin d’être un maître de la forme et s’en souciait assez peu, devenait un arbitre exquis et sûr dès qu’il s’agissait de langue italienne et de style toscan. Il semblait qu’en cela la difficulté même et la nouveauté de l’application aiguisassent son goût et le tinssent en éveil. Le fait constant, c’est qu’en telles décisions fines, il était volontiers reconnu pour oracle. Les pièces les plus achevées aimaient à en passer par son tribunal et savaient avoir toujours quelque chose à gagner à ses ritocchi. J’admets que l’Italie, malgré sa Toscane, ait à quelques égards l’inconvénient de la province, c’est-à-dire qu’on y sente le manque d’un grand centre, d’une capitale qui donne le mouvement à la langue et en règle le ton à chaque moment. Dans cette incertitude, que faire, quand on a la noble ambition d’être écrivain ? S’en remettre en idée à quelques juges d’élite, écrire en vue de leur suffrage, qui tient lieu et qui répond