Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/964

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à ce tableau des conversations d’Augustin Thierry, à mettre en regard les communications non moins intimes, non moins actives, de M. Guizot en l’année 1820, lorsque cette énergique intelligence se jetait avec passion aux sérieux travaux qui feront sa gloire : il en causait à fond avec Fauriel, il lui en écrivait en plein sujet[1]. La verve de ces esprits décisifs et prompts à l’exécution tranche singulièrement avec l’habitude si différente et le procédé temporisateur de leur ami. Mais il faut se borner et passer outre. Quelques mots seulement sont à toucher ici d’une autre branche de relations qu’entretint notre auteur avec un célèbre critique étranger, avec Guillaume de Schlegel. L’aperçu suivant aidera du moins à saisir un côté de Fauriel que nous n’avons pas assez mis en lumière, et constatera, autant qu’il nous est permis de le faire, l’orientaliste en lui.

Dans cette même année 1821, où il écoutait avec tant d’intérêt les confidences historiques d’Augustin Thierry, Fauriel se trouvait dépositaire non moins fervent et non moins essentiel des confidences sur l’Inde et des doctes projets asiatiques de Guillaume de Schlegel. Celui-ci, dont nous apprenons la mort au moment même où nous écrivons ces lignes et où nous nous flattions d’être lu par lui, cet éminent esprit qu’on n’osa jamais louer en France sans y ajouter quelque restriction, mais que nous nous risquerons toutefois à définir (son jugement sur Molière excepté) un critique qui a eu l’œil à toutes les grandes choses littéraires, s’il n’a pas toujours rendu justice aux moyennes, Schlegel, dans un voyage à Paris, s’était chargé pour le compte du gouvernement prussien, et par zèle pour les études orientales, de faire graver et fondre des caractères indiens devanagari ; ou du moins les moules et matrices de ces caractères devaient être envoyés à Berlin pour la fonte définitive. Bien des essais auparavant étaient nécessaires. Or, il arriva qu’obligé de repartir avant ces opérations d’essai, Schlegel ne vit rien de mieux que de se donner Fauriel pour remplaçant, ou comme il le lui disait en style brahmanique « C’est dans votre sein que je compte verser cette fonte divine dont l’ambroisie ne pourra couler qu’après mon départ. » - « Conformément à votre permission, lui écrivait-il le 10 juin, je vous ai adressé le fondeur, M. Lion. Cela vous coûtera quelques quarts d’heure dont Vichnou vous récompensera par des années divines. » - Et quelques

  1. Durant l’été et l’automne de 1820, M. Guizot, pour pouvoir travailler sans distraction, était allé s’installer, avec six ou sept cents volumes, à la Maisonnette, dans l’habitation même de Mme de Condorcet, que sa santé retenait à Paris.