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lation très faible peut occuper un très large territoire. Il y avait de plus, aux temps anciens, à l’intérieur des villes, des terrains vagues, des jardins, des champs même, et ce que nous appelons faubourgs constituait jadis la ville elle-même. On peut donc comprendre que Ninive ait eu cette étendue, surtout en se rappelant ce que Jonas en dit. Quoi qu’il en soit, je crois qu’il est très probable, et cela résulte de beaucoup de faits particuliers observés avec soin, que la portion du territoire de Neïnivèh qui est aujourd’hui encore enclavée dans une enceinte que la charrue a respectée, et qui n’a pas moins de 5 ou 6,000 mètres, forme l’emplacement occupé dans l’antiquité par les palais, les temples et les principaux édifices, correspondant à ce qu’on appelle en Turquie kalèh et en Perse ark[1]. Autour de cet emplacement viennent se grouper, comme cela a dû certainement avoir lieu à Ninive, toutes les habitations du peuple, formant une ville qui n’a pas de limites et à laquelle des maisons peuvent s’ajouter indéfiniment. Les grands monticules de Neïnivèh marqueraient donc la place de la Ninive de Sardanapale. On sait que cette ville était située sur le bord même du Tigre, et la disparition de la partie des murs qui longeait le fleuve vient à l’appui de ce que l’histoire nous raconte de la ruine des remparts détruits par la crue des eaux. Mais je crois aussi que le fait de cette destruction même, les idées superstitieuses des princes orientaux, qui, dans tous les temps, n’ont habité qu’avec répugnance la demeure de leurs prédécesseurs, les conseils aussi de leur vanité, qui les a toujours portés à élever des monumens nouveaux, ont pu déterminer les souverains de la seconde époque assyrienne à choisir pour leur résidence un emplacement qui fût à l’abri des ravages de l’inondation : c’est ce qui expliquerait la situation des édifices de Khorsabad à quatre heures du Tigre. Il est fort possible alors que, la résidence royale s’étant déplacée, le peuple se soit porté vers le même lieu, et que Ninive, s’étendant dans le principe au sud de Mossoul, se soit ensuite élargie du côté de l’est et du septentrion ; ce qui rendrait moins surprenante la distance qui sépare Khorsabad de Neïnivèh.

Je crois donc que les palais si heureusement découverts par M. Botta se rattachent à la seconde époque de Ninive ; mais, ainsi que je l’ai dit à propos des premières fouilles entreprises par le consul de France, les sculptures qui auraient décoré le palais dont les ruines forment la masse du monticule de Neïnivèh étaient d’un art identique à celui de Khorsabad. Cela s’explique d’ailleurs très bien, car l’intervalle qui a

  1. C’est-à-dire la citadelle ou partie fortifiée dans laquelle sont enfermés les palais du souverain ou du gouverneur et les principaux édifices.