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L’ame fière et libre du poète respire dans ces lignes tombées’ en passant de sa plume dédaigneuse.

Le discours sur le sublime et Michel-Ange témoignait de nouveau, en 1825, des progrès de l’esprit de Niccolini. Le grand auteur du Penseroso a inspiré peu de pages aussi éloquentes. Ici on voit combien la pensée du poète s’est agrandie par degrés et s’est affranchie du joug des règles. Pour lui, ni le beau ni le sublime n’ont un caractère unique et immuable, dont il appartienne aux rhéteurs de marquer les traits ; les voies qui y conduisent sont variées et nombreuses. « Si le style, dit-il, est comme la manière d’être dans un ouvrage, ceux qui pensent qu’il n’en peut exister qu’un seul circonscrivent la nature dans un cercle semblable à celui où l’ambassadeur romain enferma le roi de Syrie. Et ces Popilius de l’art se plaignent ensuite qu’il ne produise plus rien, lorsque la rigueur de leurs préceptes le retient dans l’impuissance, enchaîné au point où ils se sont arrêtés. » Il y a un autre mérite dans ce discours, c’est la liberté des jugemens sur le temps et sur les hommes. Niccolini ne néglige aucune occasion de mettre en lumière tout ce qui peut rehausser l’ame, de frapper d’une parole ardente l’âge de corruption où disparaît l’indépendance italienne. « Alexandre de Médicis, écrivait-il, voulait que Michel-Ange choisît un lieu opportun pour élever une forteresse qui pût être le soutien de la nouvelle puissance et la terreur des citoyens ; ce grand homme refusa. Les sages des époques corrompues diront que cette audace qui créait pour lui un péril ne procura pas aux autres la liberté ; mais je prie que la postérité n’ait pas assez peu de mémoire, que les lettres ne soient pas assez ingrates pour laisser dans l’oubli ce magnanime refus ! » Puis, arrivant au bout de la longue vie de Buonarotti, il ajoute avec une grave tristesse : «  Je le plains d’avoir vécu si long-temps, en songeant à ce que la vieillesse devait lui permettre de voir. Les Italiens, courbés sous le poids de l’autorité espagnole, oublièrent les coutumes de leurs aïeux, et, acceptant tout de leurs nouveaux dominateurs, ne gardèrent d’eux-mêmes que leurs vices. Les douceurs domestiques disparurent au milieu des pompes d’un faste sans richesse, des vanités d’un abaissement caché sous des noms magnifiques ;… l’Italie eut l’inertie sans le repos, des aventures sans gloire, des crimes atroces, de lâches vertus, et, en résumé, toutes les honteuses douleurs de la servitude. Alors aussi on tenta d’étouffer le génie, de faire périr la véritable éloquence à l’ombre des écoles, de tromper la conscience du genre humain, et d’empêcher ces destinées qui sont le fruit du temps et des idées. Et la pensée se fit si bien à cette domesticité,