Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1073

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il le faut aller chercher ; c’est l’usage qui le modifie et le transforme, qui fait vivre les mots ou les frappe de mort. En prenant cette parole dans sa plus haute signification, on peut dire que la langue est démocratique par essence. Cette liberté de principes dénotait certainement un esprit large, vigoureux, et dévoué à la révolution littéraire plus qu’il ne le pensait lui-même ; mais en même temps, ébloui par ses souvenirs, aveuglé par cette gloire traditionnelle d’écrivains qui ont illustré Florence plus que toute autre ville, ne se montrait-il pas trop porté, en concluant, à s’enfermer dans sa patrie particulière au sein de la grande patrie ? N’y avait-il point une inconséquence trop claire à vouloir imposer la langue toscane à l’Italie pour arriver à l’unité désirable ? Malgré tout, cependant, le Discours sur la formation de la langue, où quelques faiblesses se mêlent à tant de vues supérieures, est une des pièces solennelles de ce débat, depuis bien long-temps posé, qui a inquiété beaucoup d’esprits, qui a été l’occasion de luttes amères, et n’est point arrivé encore à sa solution.

Ceci est le côté élevé et fécond de ces polémiques soulevées par la rénovation littéraire italienne. Cependant il faudrait aussi faire la part de l’envie, de la jalousie, des basses passions mises en jeu, qui faisaient saigner la nature généreuse et impressionnable de Foscolo à Londres ; il y a encore cette plaie honteuse de la vénalité, qui inspirait à Niccolini ces hautes et fermes paroles : « Vous accusez les libraires… je ne veux pas me faire leur apologiste ; mais l’un d’eux ne pourrait-il pas vous répondre : — La soif de l’or nous est commune ; nous gagnons, il est vrai, sur la fatigue de votre esprit, mais vous, vous vendez aux puissans votre génie et votre conscience ? Par les dates de vos livres, on connaît vos opinions, et l’Égypte n’eut jamais de divinité si ridicule qui n’eût eu votre encens. Fauteurs de la licence ou de la tyrannie, pour que l’une ou l’autre vous paie, vous rendez odieux le vrai en l’exagérant, ou vous vous appliquez à ne laisser briller que cette faible et malfaisante lumière qui, si elle est mortelle à la pensée, n’en est que plus chère au nombre infini de ceux que le soleil blesse, et plus utile à ceux qui aiment à ne point être vus. Par vous sont mises en honneur ces misérables études qu’on permet à ceux qu’on veut retenir dans une perpétuelle faiblesse, comme on laisse un jouet entre les mains d’un enfant. L’infortune, qui désarme les hommes généreux, vous rend cruels ; vous aimez à planter votre bannière sur les ruines d’autrui. Vous flairez la force triomphante comme l’hyène suit le lion pour dévorer ses restes, et vous ne craignez pas de jeter la pierre de la malédiction à la tête des malheureux qui sont tombés ! »