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fille de sa fantaisie et de ses rêves, et souvent aussi de son inexpérience ? Aux obstacles qui naissent de ces circonstances morales, joignez encore les difficultés matérielles ; la censure, en repoussant les écrivains de la scène, ne leur ôte-t-elle pas le seul moyen qui les pourrait ramener à un sentiment plus exact de la réalité ? Privés de cette active communication avec le public si féconde en enseignemens, de ce commerce vivant et animé avec la foule lettrée ou vulgaire qui modifie sensiblement les conditions de l’art dramatique et fait sa puissance, ils créent cette distinction illusoire et funeste du drame écrit et du drame représenté ; leurs compositions ne sont pas des ouvrages scéniques : ce sont des poèmes libres, vagues, flottans, où toute perspective est troublée, où l’action s’encombre d’inutiles détails, où la pensée principale disparaît dans les divagations d’un esprit non retenu. De là vient que les œuvres aujourd’hui remarquables en Italie ne constituent pas, à proprement parler, un théâtre. Ce n’est pas la décadence de la poésie dramatique, mais ce n’est point le progrès véritable. C’est une suite d’efforts généreux, mais isolés et sans portée générale. C’est comme une aurore qui se prolonge depuis Manzoni et tarde à s’épanouir. Il est aisé de voir combien il y aurait d’autres questions à résoudre pour rendre moins problématique l’avenir dramatique de l’Italie. — Si ce jour désirable où s’aplanira cet avenir était proche, à côté des poètes nouveaux qui naîtraient, les hommes comme Niccolini, qui ont gardé une ame inaccessible aux défaillances et un génie pur des dérèglemens et des excès, ne trouveraient-ils pas comme une seconde jeunesse féconde encore en projets et en œuvres et éclairée par quelques-uns de ces bienfaisans rayons qu’ils virent briller dans leurs premiers songes de poésie ?


CHARLES DE MAZADE.