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pour l’auteur qu’ils adoptent avec prédilection. Un écrivain a fleuri et brillé en son temps, il est mort ; le goût public a changé ; sa renommée a vieilli et a pâli ; on le cite encore à la rencontre, on a lu de lui une ou deux pièces qui seules survivent au reste des œuvres oubliées ; il semble que tout soit dit sur son compte : et voilà subitement qu’un homme arrive, littérateur ou non de métier, mais ayant au cœur je ne sais quelle étincelle littéraire, et cet homme un matin se consacre à cette mémoire défunte, la réchauffe, la restaure, s’applique de tout point à la rehausser. C’est comme un contemporain retardé par accident, venu un siècle après, et qui va compenser par surcroît d’efforts le temps perdu ; c’est un serviteur posthume de cette gloire dans laquelle, comme au premier jour, il va tout replacer. Le pauvre poète défunt pourrait revenir et, devant ce tombeau refleuri, se croire encore à son heure de triomphe et de fête. Je dis que cela est touchant, parce que cela est désintéressé ; et c’est l’honneur éternel des lettres, de ce que les anciens appelaient studia, d’entretenir en ceux qui les aiment de ces piétés qu’on appellera, si l’on veut, des manies les hommes qui ne visent qu’au présent et à user à leur profit des circonstances sont incapables, je l’avoue, de telles illusions, qui supposent le rêve d’immortalité, et c’est pourquoi, avec toute sorte de considération pour ces hommes utiles, je préfère les autres.

Y a-t-il rien de nouveau à dire sur Gresset ? y a-t-il lieu surtout de réformer à quelques égards le jugement établi sur son talent ? Je ne le crois pas, et pourtant je vais refeuilleter sa vie et ses ouvrages avec M. de Cayrol, me bornant à toucher quelques traits çà et là. Il naquit à Amiens, comme on sait, le 29 août 1709 ; son père, qui remplissait d’honorables fonctions judiciaires, était tant soit peu poète, et rimait en style convenable des épîtres ou satires à l’imitation de Boileau. Le jeune Gresset fit ses études au collége des jésuites à Amiens ; d’élève devenu novice et admis dans la compagnie, il passa au collége Louis-le-Grand, et de là fut envoyé pour professer en divers lieux, à Nevers peut-être, certainement à Moulins, dans le voisinage de ce couvent de Visitandines qu’il a si joliment célébré. Gresset avait deux de ses sœurs qui se firent religieuses au couvent des Augustines d’Amiens. A ses débuts, on le voit, il tenait par tous les côtés à cette vie de collége et de cloître qui fut son premier horizon, et qui resta toujours sa perspective ; il y était initié à fond, et son naturel badin, agréable et ingénument malicieux ne réussit jamais d’un tour plus sûr que lorsqu’il s’y donna ses ébats, en ayant l’air d’en sortir. Des vers latins, des discours latins, des énigmes rimées, une traduction en vers français des