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même chose pour le patron auquel elle s’est une fois consacrée ; elle lui élève une chapelle, si ce n’est un temple ; elle dessert l’autel, et y expose les reliques, et sonne la cloche en tout temps pour réveiller les fidèles. M. de Cayrol s’est fait le desservant de Gresset.

Il y a quinze ans que cet honorable gentilhomme, ancien député sous la restauration, a pris à cœur de rechercher tout ce qui pouvait, de près ou de loin, concerner l’aimable poète d’Amiens. M. de Cayrol a vécu quelque temps en Picardie, il est membre et a été chancelier de l’Académie du département de la Somme ; il n’en a pas fallu davantage pour enflammer chez lui une prédisposition qu’on peut croire préexistante et comme innée. Depuis ce temps, il n’est pas de soins ni de mouvemens qu’il ne se soit donnés pour retrouver les moindres débris du portefeuille de Gresset, pour en déchiffrer les plus informes brouillons, pour en restituer les plus exigus fragmens, pour conférer les diverses éditions et présenter les variantes comme on fait pour les grands classiques ; les académies du lieu, les sociétés littéraires des cantons circonvoisins, ont retenti mainte fois du prélude de ces estimables travaux, poursuivis avec un zèle pour ainsi dire acharné ; et aujourd’hui, maître de son sujet, en ayant épuisé toutes les veines, le laborieux biographe ramasse ses résultats en deux volumes, qui contiennent tout sur Gresset, et même un peu plus que tout, puisqu’on y rencontre certaines petites injures contre les ex-romantiques, contre cette abominable postérité de Jodelle et de Du Bartas, et aussi contre le virus des ames gangrenées de George Sand et consorts. Oh ! pour le coup, ceci est trop ; en matière littéraire, un peu de superstition ne me déplaît pas, mais point de fanatisme. M. de Cayrol, en mêlant ces sorties sans motif à la célébration de son innocent et gracieux poète, pourrait compromettre la cause de celui-ci et lui attirer par contre-coup des désagrémens, si on ne faisait la part d’une grosseur de termes qui tient à une plume rarement taillée, et si on ne rabattait d’un emportement qui n’est guère qu’une faute de goût. Ceux qui ont tant parlé de goût au nom des classiques, dont ils se croyaient les seuls défenseurs, ont eu souvent ce tort et commis cette petite inconséquence. Nous devions d’abord en prendre acte et montrer qu’ici elle ne nous a pas échappé. Après quoi nous nous empressons de l’oublier, car elle nous conduirait à être sévère, c’est-à-dire injuste envers un homme et un ouvrage dont le mobile et l’objet sont faits pour intéresser.

Il est intéressant en effet de voir ce zèle dont se trouvent tout d’un coup saisis, après de longues années, certains critiques et biographes