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resta à très peu près le même, ni plus ni moins. Dans un siècle qui remuait toutes les théories, qui agitait tous les problèmes, il ne prit aucune part effective, aucun intérêt véritablement intelligent. Pas plus que Crébillon, que Jean-Baptiste Rousseau, que Piron, ses aînés, il n’avait l’esprit sérieux, tandis que Voltaire l’avait jusqu’en ses saillies, et c’est ce qui explique le peu de résistance qu’ils firent tous en face d’un tel rival, à la fois léger de plume et muni du fonds. La première veine de jeunesse dissipée, la matinée à peine finie et midi sonnant, Gresset n’eut plus rien à dire et ne put que se replier dans Amiens car je suis fort de l’avis de Diderot qui remarque quelque part que, lorsqu’un poète peut prendre si aisément sur lui de se taire, c’est qu’il n’a plus guère à parler. Après le Méchant, dans lequel il prouva une heureuse entente des tracasseries du monde, comme dans Vert-Vert il s’était joué avec les tracasseries du couvent, Gresset avait tout dit.

Il y eut, ne l’oublions pas, deux temps très distincts, deux moitiés très tranchées dans le XVIIIe siècle ; ce n’est que dans la seconde moitié et après 1747, année du Méchant, que ce siècle produisit les mémorables ouvrages qui en firent décidément une grande époque de philosophie et d’éloquence : l’Esprit des Lois, l’Histoire naturelle, l’Encyclopédie, l’Émile et tant d’autres ; Voltaire embrasse et remplit les deux périodes, Rousseau n’éclate que dans la seconde ; Gresset ne passa jamais la première. Le lendemain du Méchant, sa moisson était faite, et sa provision aussi ; son esprit rassasié n’accepta pas une idée depuis. On voit assez en quel sens on est autorisé à dire qu’il n’avait pas l’esprit sérieux. Combien de poètes sont ainsi, et eurent le talent plus distingué que l’intelligence !

On retrouverait en lui partout, et dans le meilleur sens, l’élève des jésuites et du père Du Cerceau ; quand les jésuites ne se mêlaient pas de théologie, mais seulement de littérature, ils avaient de ce genre d’esprit dont Gresset représente la fleur la plus brillante et la plus mondaine : il suffit de nommer Commire, Cossart, Rapin, Porée, Bougeant et tant d’autres. Cette littérature tout intérieure et confinée aux ornemens des écoles, avait de la gaieté et laissait à ces aimables maîtres (encore un coup, je ne parle que de ceux qui ne faisaient pas les théologiens) une certaine enfance de mœurs et d’esprit qui de près n’était pas sans charme. Pline le jeune, parlant d’un vieux et aimable rhétheur, Isée, qui avait un prodigieux talent de parole et d’amplification, une élégance et une pureté de diction réputée attique, ajoute « Il a plus de soixante ans, et il n’en est encore qu’à s’exercer au sein