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rare et cher, où il était encore, il y a quelques années, plus rare et plus cher qu’il ne l’est aujourd’hui, la force hydraulique est précieuse, tout le monde le sent : or, les grands cours d’eau qui appartiennent à l’état étant négligés par lui, n’étant ni canalisés ni réglés, et n’offrant par conséquent aucune force disponible, il était inévitable que nos industriels allassent, en désespoir de cause, chercher cette force où ils la trouvaient, sur des ruisseaux. Il n’en est pas moins vrai qu’ils y paient généralement un peu cher, par leur isolement et par l’absence de toutes communications régulières, les moteurs hydrauliques dont ils jouissent. D’un autre côté, quels désordres ! Barrés sans rémission et sans la précaution nécessaire de l’établissement d’un canal latéral, ces ruisseaux sont devenus sujets à grossir, à s’enfler par momens, à l’instar des plus grands fleuves. Les industriels, causes innocentes de ces débordemens, en souffrent les premiers ; mais quel remède peuvent-ils appliquer au mal dans leur isolement ? D’une part donc la négligence de l’état, de l’autre l’isolement des intérêts privés, ont préparé sur notre territoire un régime sans nom, dans lequel, à certaines époques, ruisseaux, rivières, fleuves, tout déborde à l’envi. C’est ainsi qu’au XIXe siècle, dans un pays civilisé, au sein de cette belle France que l’on renomme, nous assistons périodiquement au spectacle du déchaînement général des eaux.

Opposons à ce tableau, malheureusement trop vrai, celui qu’aurait produit sur notre sol l’application active et vigilante d’un système mieux entendu. On aurait déclaré canalisable en principe, et on aurait canalisé en effet non-seulement toute rivière, flottable ou non, mais encore tout ruisseau assez abondant pour alimenter régulièrement un canal, à moins qu’on ne rencontrât dans la configuration du sol des obstacles décidément insurmontables, et ce n’est guère que dans les pays de montagnes qu’il en existe de tels. La navigation en aurait profité sans aucun doute et largement. Les bateaux auraient pénétré dans tous les recoins du territoire, allant chercher partout ou les denrées du sol ou les produits des mines et des carrières, y répandant au retour ou les produits de l’industrie ou les engrais propres à féconder les champs. Et quelle immense activité n’aurait-on pas vu se déployer sur les principales rivières, enrichies à la fois des produits créés sur leurs rives et des tributs de leurs nombreux affluens ! Avant tout cependant, c’est à l’agriculture, c’est à la fécondation du sol que ce système eût profité, puisque de toutes parts et sur tous les cours d’eau, grands ou petits, les barrages eussent ménagé en tout temps la tenue