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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1131

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le creusement de dix ou quinze ruisseaux artificiels, détachés du bief supérieur, et qui animeraient autant de belles usines[1] : c’est-à-dire que chacun de ces barrages enfanterait, sur une moindre échelle sans doute, et sauf le privilège de l’antériorité, qui est toujours considérable, un autre Amiens. Ajoutez que toutes ces branches détachées du tronc de la rivière, bien que créées par des particuliers dans l’unique intérêt des établissemens industriels, n’en seraient pas moins, en tant qu’elles traverseraient les champs, d’excellens conduits d’irrigation. Est-il possible encore une fois qu’un chemin de fer traversant les plaines détourne la moindre partie d’une activité fondée sur de semblables élémens ?


III. — DES CANAUX.

Si les canaux proprement dits ne peuvent se comparer aux rivières canalisées, en ce que la puissance fécondante en est moindre, et qu’ils ne créent pas de chutes, l’utilité en est en général supérieure à celle des rivières abandonnées à leur libre cours. La tenue d’eau y étant plus régulière et plus constante, ils humectent en tout temps les terres voisines et ne les ravagent jamais. Comme ils traversent d’ailleurs plus ordinairement les plaines que les vallées, il n’est pas nécessaire qu’une force hydraulique en élève les eaux, déjà placées au niveau où elles doivent être. Pour qu’ils étendent au loin le bienfait des irrigations, il suffit que l’alimentation en soit suffisante, et que l’administration permette en conséquence, au profit des propriétaires voisins, l’établissement de conduits particuliers et de prises d’eau. Quand cette hypothèse se réalise, l’humble canal acquiert une vertu fécondante égale à celle des plus puissantes rivières. Il fertilise toute la plaine qu’il traverse ; il suffit à lui seul pour changer la face d’une contrée.

C’est mieux encore lorsqu’un canal traverse des terres basses exposées dans certaines saisons au séjour prolongé des eaux. Alors l’utilité en est double ; il devient à la fois canal d’irrigation et canal d’épuisement. Sans laisser, en effet, d’entretenir sur ces terres une humidité toujours précieuse dans les temps de sécheresse, il en enlève en d’autres temps le superflu, rendant ainsi ou retirant tour à tour l’eau, selon qu’elle s’épuise ou qu’elle abonde ; également utile dans l’un et l’autre emploi. Que sera-ce si l’on considère les cas particuliers, mais

  1. La force que chaque barrage engendrerait sur la Seine dépendrait, comme partout, de la hauteur de la chute, et par conséquent de l’intervalle qu’on laisserait d’un barrage à l’autre ; mais on ne peut guère estimer cette force à moins de mille ou deux mille chevaux.