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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1146

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VII.

la traversée.

À Louisa ***


Adieu, ma ville ! Adieu, grève de Ker-Roman !
La grande voile s’enfle et frappe le hauban ;
« Je vois monter au loin les côtes de Belle-Île,
« Pour la dernière fois, adieu, la blanche ville !
« Et vous, hameaux sacrés, où, comme un fils pieux,
« J’errais, interrogeant l’antique esprit des lieux,
« L’enfance dans ses jeux, sur son banc la vieillesse ;
« Tout ce qu’enferme un cœur aimant, je vous le laisse. »
Mais déjà le navire entrait en pleine mer,
Tout s’imprégnait de sel et devenait amer,
Les vagues et les vents redoublaient leur secousse,
Les matelots juraient, et l’on battait le mousse.
« Ah ! dis-je, et, tout ému, mon cœur se soulevant,
« C’est une lâcheté de frapper un enfant ! »
Le matelot rougit, mais une jeune fille,
Aventurière, hélas ! sans amis, sans famille,
Comme moi vint en aide au petit malheureux,
Et dans un coin du bord murmura : « C’est affreux ! »

Tel fut notre départ. Au terme du voyage,
Pourquoi donc ce retour vers le dur équipage,
Et qu’au roulis des flots en moi-même bercé,
J’achève à terre un chant sur la mer commencé ?
Ah ! ce chant, inscris-le sur tes feuillets d’ivoire,
Car c’est là, Poésie, un voyage à ta gloire,
Sirède dont la voix modère l’ouragan,
Déesse qui soumets les loups de l’Océan.

Chaque soir, bruit des vents pareils à des couleuvres,
Tumulte des marins courant dans les manœuvres,
Féroces coups de mer ; puis, au jour renaissant,
Cette fièvre des flots par degrés s’apaisant ;