Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1147

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La voile sans haleine, et, sur une mer d’huile,
Comme un phoque endormi le navire immobile.

Alors, quand sur le pont l’équipage étendu
Reposait, l’un fumant, l’autre en rêve perdu,
Quand la chaudière aussi par le mousse allumée
Sur nous joyeusement répandait sa fumée,
La jeune fille alors, les yeux vers l’horizon,
A ce monde inconnu jetait une chanson,
Le peuplait de châteaux, d’amoureux, de féeries,
Tant que rien ne troublait ses longues rêveries.
Parfois, vers un gros livre ouvert sur mes genoux,
Je voyais lourdement se traîner tous ces loups
« Lisez-nous, disaient-ils, quelque nouvelle histoire,
« Celle d’hier remplit encor notre mémoire. »
Sauvage naturel, mais instinct vierge et prompt
Dès que la voix de l’art l’interroge, il répond.
Comme l’aile du vent sur la cime des lames,
L’émotion courait rapide sur ces ames ;
Un mot assombrissait leurs yeux, où sans efforts
Le rire sur leur lèvre arrivait à pleins bords.
Oh ! lorsque le récit grave, mais sans emphase,
Loin du monde présent les tenait en extase ;
Malheur à l’importun qui ramenait du ciel
Ces esprits enivrés ! Ainsi ce bon Mikel,
Obligé de passer, de repasser sans cesse,
Pauvre mousse, essuyait toujours quelque rudesse.
— « Mikel, disais-je alors, près de nous assieds-toi.
« En maître tu sais lire, un instant lis pour moi. »
Et le cercle s’ouvrait, et ce timbre sonore
Au charme du récit prêtait son charme encore,
Et des yeux des marins mes yeux voyaient sortir
Des larmes, à la voix de cet enfant martyr.

Poésie, ô parfum, accord, divine flamme,
Des lèvres de l’enfant, des chansons de la femme,
Ainsi tu t’exhalais ! ainsi, purifié,
Le plus dur se laissait aller à la pitié ! —

Une nuit, froide nuit où, selon ma coutume,