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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1149

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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 septembre 1845.

Les chemins de fer ont pris la place de la politique. L’évènement du jour est l’adjudication de la ligne du Nord. En présence de cet évènement, tout s’est effacé ; les affaires de l’Europe, l’action de la diplomatie dans les deux mondes, les voyages des rois et des princes, tout a disparu. Heureux les ministères qui ont des chemins de fer à adjuger !

Il faut dire aussi que l’adjudication du chemin du Nord n’était pas un évènement ordinaire. Les œuvres industrielles qui ont cette importance et cette grandeur sont aussi des œuvres politiques. Depuis dix ans, le chemin du Nord, sans cesse ajourné par la lutte des systèmes et par les crises ministérielles, semblait accuser l’infériorité industrielle de la France. Notre honneur national, autant que les intérêts de notre politique et de notre commerce, était en jeu. Toutefois, si la conclusion s’est fait attendre, on peut dire du moins qu’elle est de nature à satisfaire le pays. Les conditions de l’adjudication, la puissance de la compagnie soumissionnaire, la faveur qu’elle rencontre dans l’opinion, tout présente les garanties désirables.

On s’est beaucoup récrié contre le chiffre de trente-huit ans accepté par le ministre. Un tel chiffre cependant n’a rien d’excessif. Ceux qui calculent les bénéfices que peut faire la compagnie adjudicataire, et qui trouvent ces bénéfices énormes, devraient aussi, pour être justes, mettre en regard les dangers qu’elle peut courir, et les obstacles de toute nature qui peuvent entraver la marche d’une entreprise aussi gigantesque. Pense-t-on que l’appât d’un bénéfice médiocre suffirait pour déterminer les capitaux à se lancer dans ces opérations immenses, où l’imprévu joue un si grand rôle, et où les plus habiles peuvent commettre de graves erreurs ? On parle d’une féodalité industrielle ! on déplore les scandaleuses fortunes que le chemin du Nord va partager entre un petit nombre de privilégiés, dont les millions gouverneront la