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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1152

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est passé à la discussion. C’est finir par où l’on aurait dû commencer. Vis-à-vis d’un homme qui a rendu au pays de si grands services, cette guerre de personnalités ridicules, ces accusations aussi injustes qu’absurdes étaient un triste spectacle. Nous ne sommes pas surpris que la population d’Alger s’en soit émue, et qu’elle ait réclamé contre ces outrages en adressant à l’illustre maréchal un témoignage public de ses sympathies. Le maréchal a répondu à cette manifestation par des paroles pleines de dignité, et qui respirent le plus noble patriotisme. Sa réponse donnera des regrets à ses accusateurs.

On connaît les plans de colonisation militaire proposés par le maréchal Bugeaud. L’Algérie, selon lui, doit être colonisée par des bras qui pourront la défendre. Pour cultiver la terre, il faut de la sécurité ; pour établir la sécurité, il faut la force ; or, le plus sûr moyen de coloniser les plaines de l’Algérie, sans cesse exposées aux incursions arabes, serait de les livrer à nos soldats, à des cultivateurs armés, espèce de milice permanente, qui défendrait le sol destiné à la nourrir, qui s’y fixerait en y trouvant ses affections, ses intérêts, ses devoirs, qui créerait à l’Algérie une existence propre, assez forte pour donner à la France la liberté de ses mouvemens, et mettrait ainsi notre conquête à l’abri des vicissitudes de la politique européenne. Tel est en résumé le plan du maréchal Bugeaud, moins les détails d’exécution, qui sont peut-être, sur certains points, la partie vulnérable du système. À ces idées que le maréchal Bugeaud professe depuis long-temps avec l’ardeur qu’il porte en toutes choses, idées sérieuses et grandes, qu’on a eu tort d’appeler chimériques, le nouveau gouverneur par intérim, M. de Lamoricière, oppose un système tout différent. M. de Lamoricière ne veut pas de la colonisation militaire ; il veut la colonisation civile, au moyen de l’émigration française et étrangère, stimulée par les bénéfices des grandes exploitations agricoles. La chose qui manque le plus à l’Algérie, suivant M. de Lamoricière, ce sont les capitaux. Appelez l’argent en Afrique, sollicitez le crédit, abaissez le taux d’un intérêt ruineux, et vous aurez de grandes spéculations agricoles et industrielles, qui amèneront des colons. À cela, M. le général Bugeaud répond qu’il faudra protéger ces colons avec une armée, que dès-lors les dépenses de la métropole ne seront pas allégées, que l’Afrique pèsera toujours sur la France, que d’ailleurs ces colons, venus de tous les pays, ne seront pas rattachés les uns aux autres par le lien de la commune patrie, que le premier revers les dispersera ; qu’enfin, le système des grandes exploitations étant préféré aux exploitations partielles et restreintes, il s’ensuivra naturellement que chaque groupe de colons dépendra de la fortune ou du caprice d’un seul individu ; si l’entreprise réussit, les colons resteront ; si elle échoue, ils iront ailleurs. Tels sont les deux systèmes qui sont en présence. On peut dire que leur antagonisme est plus apparent que réel. Nous croyons que chacun d’eux, au fond, repose sur des préférences plutôt que sur des exclusions. Ainsi, le maréchal préfère la colonisation militaire à la colonisation civile ;