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pendant trente-six heures son séjour à bord. Cette circonstance relève le prix de son affectueuse démarche. Aussi, a-t-elle été la bien-venue sur le rivage de France, et les populations l’ont saluée avec un sincère enthousiasme.

Cette visite au château d’Eu, toute spontanée, toute familière, a présenté un singulier contraste avec les pompes et le cérémonial du voyage de Prusse. S’il faut en croire quelques invités privilégiés des fêtes de Bonn, de Stolzenfels, de Coblentz, la reine Victoria aurait trouvé ces fêtes plus splendides qu’amusantes. Il faut dire aussi que les divertissemens imaginés par sa majesté le roi de Prusse pour mieux fêter la jeune souveraine de la Grande-Bretagne n’ont pas tous été choisis avec un tact merveilleux. Des salves d’artillerie, des feux d’artifice accompagnés de détonations formidables, des tambours, des fanfares, et trois ou quatre concerts par jour, voilà des galanteries bien bruyantes pour l’oreille d’une femme. La reine, à ce qu’il paraît, n’a pu résister à tout ce vacarme. Elle a fait bonne contenance le premier jour, mais sa patience s’est bientôt lassée, et l’on assure qu’elle n’a pas été assez maîtresse d’elle-même pour dissimuler à ses augustes hôtes un secret ennui que rien n’a pu dissiper. Ni les attentions délicates du roi et de la reine, ni les prévenances de la princesse Amélie, n’ont pu triompher de cette fâcheuse impression. Le roi de Prusse en a été pour les frais de ses illuminations féeriques, de ses feux d’artifice et de ses concerts, qui se sont élevés, dit-on, à la somme de quatre millions. Lord Aberdeen, qui sans doute n’était pas venu en Prusse pour entendre des salves de canon et les symphonies de Beethoven, en a été pour ses combinaisons, qui ont dû être singulièrement dérangées.

La reine d’Angleterre, tout le monde le sait, a peu de goût pour la représentation et l’étiquette. Aux pompes de la royauté elle préfère les plaisirs de la vie intime, les joies de sa jeunesse, encore un peu naïve. Le but de son voyage en Allemagne n’était pas seulement de voir la cour de Prusse, où elle devait s’attendre à trouver les magnificences et les ennuis d’une réception royale : ce qui l’attirait surtout, c’était la petite cour princière de Cobourg, la patrie du prince Albert ; c’était Gotha, et ses mœurs patriarcales. Aussi, à Cobourg, à Gotha, la reine a été d’une humeur charmante, et le souvenir du voyage de Prusse avait complètement disparu de son gracieux visage lorsqu’elle est arrivée au château d’Eu, où elle a reçu cette hospitalité cordiale qui lui plaît, et que le roi Louis-Philippe sait lui rendre si séduisante.

Le mouvement religieux, naguère si désordonné et si étendu, paraît momentanément comprimé dans les états de l’Allemagne. Les chefs des sectes dissidentes se tiennent en repos. Les rassemblemens ont cessé. La censure et la police arrêtent toute manifestation. Néanmoins il s’en faut que les gouvernemens soient pleinement rassurés sur la situation des esprits. Les derniers évènemens ont laissé après eux une agitation sourde qui peut éclater d’un jour à l’autre, et sous la forme la plus imprévue. Tout récemment, la réu-