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d’une autre espèce de contrebande, la coterie des gens de bourse, des faiseurs de contrats, des spéculateurs sur la hausse et la baisse, sur les emprunts, sur les fournitures et les marchés illicites, a déclaré aussi la guerre à M. Mon, qui lui coupe les vivres par la sagesse et l’honnêteté de son administration. De près et de loin, dans la hutte du contrebandier andaloux comme dans l’officine du boursier madrilègne, et malheureusement aussi dans la boutique du petit marchand comme dans la ferme de l’agriculteur, le nom de ce ministre est maudit.

Les hommes raisonnables, car il y en a, grace à Dieu, un assez bon nombre en Espagne, trouvent bien que toute cette opposition n’a pas le sens commun, et que M. Mon a pris le seul moyen d’établir enfin dans son pays un gouvernement, une administration, une armée, toutes choses qui ne marchent pas sans argent ; mais en présence du déchaînement que soulèvent les nouvelles lois financières, on n’ose pas dire ce qu’on en pense du fond du cœur. On craint ce terrible mot d’impopularité, qui fait reculer les plus fermes courages dans un état encore si neuf pour la vie politique. Les plus habiles se tirent d’affaire en disant que sans doute il faut des revenus publics, mais que M. Mon aurait pu s’y prendre autrement, qu’il aurait dît aller moins vite en besogne, et déguiser le fond sous la forme, comme s’il y avait quelque forme qui pût donner le change sur une question d’impôt, et comme s’il ne fallait pas, en définitive, aboutir à faire payer ceux qui ne paient pas. Rien n’est brutal comme un chiffre, et, de quelque façon qu’on s’y prenne, un déficit ne se comble pas avec des phrases ; ce qui n’empêche pas certaines gens de dire aux propriétaires qu’on aurait dû imposer uniquement les commerçans, aux commerçans, qu’on aurait dei imposer uniquement les propriétaires ; aux uns et aux autres, qu’on aurait bien pu s’adresser encore au crédit, et rouvrir le gouffre de l’emprunt. On dit que M. Mon s’irrite de ces complaisances intéressées, et qu’il s’exprime quelquefois assez vertement sur le peu d’appui qu’il trouve parmi ceux même qui devraient lui en donner le plus. On comprend sans peine que la patience échappe à un honnête homme ainsi poussé à bout ; mais ces emportemens n’en font pas moins leur effet : les paroles sévères du ministre, colportées avec soin, défigurées, exagérées à dessein, servent à lui faire de nouveaux ennemis, et l’on voit tous les jours grossir contre lui, soit dans les chambres, soit dans le public, un parti d’hommes prudens et perfides, qui sans partager les passions de la foule, encouragent ces passions par une connivence tacite, et respectent les erreurs de l’opinion, tout en les déplorant au fond de l’ame.

La seule force qui soutienne encore au pouvoir le ministère actuel, c’est l’union du général Narvaez avec ses collègues, et notamment avec les deux ministres les plus attaqués, MM. Mon et Pidal. Le général Narvaez représente la puissance militaire, la plus grande de toutes malheureusement dans ce pays si récemment libre. Le jour où le bras du général Narvaez se retirerait de MM. Mon et Pidal, ce jour-là ces ministres seraient renversés par le