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soulèvement des contribuables et la faiblesse des cortès, quels que soient les services qu’ils aient rendus au gouvernement constitutionnel. Nul n’a plus fait que MM. Mon et Pidal pour l’établissement de la liberté politique dans la Péninsule ; on les a vus, dans les temps difficiles qui ont suivi la chute d’Espartero, repousser avec une constante énergie toutes les pensées de gouvernement absolu, défendre le pouvoir royal contre l’entraînement de son propre succès, et en appeler toujours à la nation, à l’opinion publique, aux cortès, quand rien n’était plus facile que de supprimer en un jour toutes les garanties constitutionnelles. Ils étaient populaires alors, et la nation espagnole semblait leur savoir quelque gré d’avoir fait triompher ses droits ; aujourd’hui tout est oublié. Rien n’est épargné par les secrets ennemis de la monarchie d’Isabelle II, pour saisir l’occasion de l’ébranler en semant des mésintelligences entre les ministres. Il ne manque pas d’officieux conseillers pour dire tous les jours à Narvaez qu’il se compromet en couvrant de la puissance de son nom et de sa gloire des ministres impopulaires ; que le meilleur parti à prendre serait de laisser là les innovations françaises du ministre des finances, et de revenir aux vieilles méthodes nationales, au système espagnol d’impôt, c’est-à-dire au désordre héréditaire dont on a l’habitude depuis tant de siècles ; qu’en persistant à défendre M. Mon contre l’irritation générale de la capitale et des provinces, il finira par avoir sa part dans cette irritation, et qu’un jour arrivera où l’entraînement, devenu irrésistible, renversera d’un même coup et le financier imprudent et l’homme de guerre aveugle qui se sera fait tuer pour les fautes d’autrui. Jusqu’ici Narvaez a résisté à ces suggestions sans cesse renouvelées ; résistera-t-il longtemps ? résistera-t-il toujours ? Là est la grande question du moment. Nous ne voulons pas dire que, si le ministère reste uni, il soit sans aucun doute en état de lutter contre les résistances coalisées contre lui ; mais, ce qui est sûr, c’est que, s’il se divise, il est de nouveau impossible de prévoir jusqu’où ira cette pauvre Espagne encore une fois lancée dans les aventures.

Le général Narvaez peut très aisément, dans ce moment-ci, se séparer de ses collègues et faire un ministère de transaction ; mais la question est aujourd’hui si nettement posée entre l’ordre nouveau et l’ancienne anarchie, qu’elle ne peut pas être éludée par un changement de personnes. Le lendemain du jour où M. Mon serait remplacé par un financier moins entier dans ses idées, il s’agirait de savoir si les nouvelles lois d’impôt seraient retirées ou non. Si ces lois ne doivent pas être appliquées, à quoi bon changer de ministère ? Ce serait ajouter aux difficultés actuelles celles qui naîtraient de l’élan donné à la résistance par un commencement de satisfaction. Si au contraire les nouveaux impôts doivent être abolis ou suspendus, et il serait à peu près impossible qu’il en fût autrement après une victoire de l’opinion sur le ministère, une autre difficulté bien plus sérieuse commence. Le système financier de l’Espagne subit aujourd’hui une tentative générale de réorganisation : si vous arrêtez le travail au milieu de son cours, il ne vous restera