Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/1163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grand nombre de lépreux qui paraissent faire de ce lieu leur demeure habituelle.

Cependant l’heure du bal était venue ; l’amiral se rendit au palais, où il fut présenté au sultan par M. Boschins, résident hollandais à Djocjokarta, chez qui il avait trouvé, comme partout, une réception des plus cordiales. Le sultan vint recevoir ses hôtes au bas des degrés menant à la pièce principale où étaient réunis les autres conviés. Ils entrèrent dans cette pièce, tous trois de front, M. Boschins donnant au sultan le bras droit et l’amiral le bras gauche. Après avoir fait ainsi le tour de la salle, le sultan monta sur son trône ; le résident prit place à sa gauche, sur un siège à peu près semblable à celui du prince ; l’amiral, le colonel commandant la garnison, le sous-résident, eurent un canapé à gauche sur la même ligne. A droite du sultan était la sultane, Mlle Boschins et la sultane-mère ; puis, un peu plus loin, trois ou quatre princesses qui paraissaient aussi vieilles que le palais même. Bientôt le bal commença, mais sans rappeler en rien les fêtes javanaises décrites par le capitaine Laplace. C’était un bal tout à l’européenne, et qui trompa désagréablement l’attente des spectateurs français. A minuit, le sultan et la princesse s’étant retirés, on alla prendre place à une table de cent cinquante couverts très bien dressée et splendidement illuminée. On porta les santés officielles, d’abord celle du roi de Hollande, puis celle du gouverneur-général, enfin celles du sultan et du résident.

Le sultan, âgé de vingt-sept à peine, n’a pas d’enfans ; marié depuis neuf ans à une femme jeune et gracieuse, il a pris dès les premiers jours de son union une telle aversion pour elle, qu’il ne lui adresse jamais la parole. Cet état de choses contrarie les Hollandais, car le frère du sultan, qui, selon toute apparence, lui succédera un jour, est assez mal disposé pour les Européens. Délivré de tout souci politique, ayant peu à s’occuper de la gestion des terres qui lui sont restées en propre et qu’il afferme par contrats de quinze à vingt ans, le sultan passe sa vie dans l’inaction la plus complète. C’est à la bonne chère et à l’usage immodéré des liqueurs fortes qu’il demande une distraction dans ses ennuis ; aussi a-t-il acquis une obésité monstrueuse, et perdu une partie de ses facultés morales, s’il en eut jamais, car son intelligence paraît très bornée.

Le contre-amiral ne voulait point prolonger son séjour à Djocjoliarta, et le lendemain, au point du jour, il était déjà en voiture pour continuer son voyage. On lit une halte aux ruines de Brambarra, appelées les mille temples. Ce sont des masses de pierres envahies de tous côtés par l’exubérante végétation des tropiques. Un arbre monstrueux a fait de l’un de ces massifs son piédestal. Quelques grottes renferment des statues bien conservées. La superstition n’a pas cessé de leur apporter son tribut, et on trouve au pied de quelques-unes de ces idoles des joss-sticks, comme ceux que les Chinois brûlent dans leurs temples. Au-delà de Djocjakarta, les voyageurs ne remarquèrent plus ces traces de culture intelligente qui les avaient frappés avant d’arriver