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Mais Nodier mourut avant d’avoir laissé échapper les pages riantes, et nous voilà en demeure, nous poète autrefois intime, critique aujourd’hui très grave, de payer le tribut au plus joyeux et au plus bachique des chanteurs. N’importe, nous le ferons sans trop d’effort : la critique a pour devoir et pour plaisir de tout comprendre et de sentir chaque poète, ne fût-ce qu’un jour.

A une noble dame qui lui demandait de réciter des vers à table, le poète Parini répondit par un refus :

Orecchio ama placato
La Musa, e mente arguta e cor gentile.

« La Muse, pour se confier, veut une oreille apaisée, un esprit fin et un cœur délicat. » Cela est vrai et le sera toujours des muses discrètes, tendres ou sévères. Mais il est aussi une poésie qui a présidé de tout temps aux banquets, aux réunions cordiales des hommes et qui s’inspire de la bonne chère, de l’abondance de la paix et des joies de la vie. Les moins lettrés vous citeront tout aussitôt, comme antiques patrons du genre, Horace et Anacréon. On remonterait plus haut encore, et c’est Horace lui-même qui a dit :

Laudibus arguitur vini vinosus Homerus.


liomère, en effet, ne perd aucune occasion de remplir les coupes dans les festins qu’il décrit. Lorsqu’Ulysse déguisé en mendiant arrive chez le fidèle Eumée, celui-ci traite son hôte avec honneur ; il lui sert le dos tout entier d’un porc succulent, lui présente la coupe toute pleine, et Ulysse, moitié ruse, moitié gaieté, et comme animé d’une pointe de vin, se met à raconter avec verve certaine aventure à demi mensongère où figure Ulysse lui-même : « Écoute maintenant, Eumée, s’écrie-t-il, écoutez vous tous, compagnons, je vais parler en me vantant, car le vin me le commande, le vin qui égare, qui ordonne même au plus sage de chanter, qui excite au rire délicieux et à la danse, et qui jette en avant des paroles qu’il serait mieux de retenir… » Et cela dit, le malin conteur pousse sa pointe et, comme entre deux vins, il risque son histoire, qui a bien son grain d'humour et dans laquelle il joue avec son propre secret.

Mais, après Homère, et sans parler d’Anacréon trop connu, le poète ancien qui a le mieux parlé du vin est peut-être Panyasis, de qui l’on n’a que des fragmens. Ce Panyasis, qui était de la grande époque et oncle ou cousin-germain d’Hérodote, avait composé chez les Grecs la