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troisième épopée célèbre, celle qui suivait en renom les deux filles d’Homère. On n’en sait guère que le morceau que voici, et il est fait pour donner le regret de l’ensemble. Rien qu’à la largeur de la coupe, on peut prendre idée de la manière du maître :

« Allons, ô mon hôte, bois ! c’est là un talent aussi que de savoir dans un festin boire comme il faut et plus que tous les autres, et en même temps de donner le signal à tous. Le héros d’un festin est égal au héros qui, dans la guerre, dirige les mêlées terribles, là où si peu demeurent inébranlables et soutiennent de pied ferme le choc de Mars impétueux. Cette gloire-là est, à mes yeux, toute pareille à celle du convive intrépide qui jouit lui-même de la fête et met en train les autres. Car il ne me semble pas vivre, il ne connaît pas la consolation de la vie, le mortel qui, éloignant son cœur du vin, boit quelque autre boisson d’invention nouvelle[1]. Le vin est aux mortels aussi utile que le feu ; il est le vrai bien, le remède des maux, le compagnon de tout chant. Il est une part sacrée de toute réjouissance, de toute allégresse, de la danse et de l’aimable amour. C’est pourquoi, assis au festin et t’humectant à souhait, il te faut boire, et non pas te gorger de viandes, comme un vautour, oubliant les gracieuses délices. »

On a là, dans ce fragment de Panyasis, comme un premier type classique de l’admirable Délire bachique de Desaugiers.

Les Gaulois, on le sait, ont toujours aimé le vin, et les Français la chanson. Chanson galante, chanson satyrique, chanson de table, ils en ont eu de toutes les sortes et dans tous les âges. On assure, non sans vraisemblance, que cela commence fort à passer, et qu’on ne chante plus guère, du moins dans le sens joyeux du mot. Un reproche certain qu’ont mérité nos poètes modernes, si éminens à tant d’égards, si grandement lyriques, si tendrement élégiaques, c’est d’avoir trop oublié l’esprit, ce qui s’appelle proprement de ce nom, ce qu’avaient précisément nos pères. En effet, si l’on excepte Béranger et Alfred de Musset, on trouvera qu’ils s’en sont passés en général et qu’ils ont tous négligé le sourire. Si cette remarque est vraie du sourire et de l’esprit, que sera-ce s’il s’agit du rire et de la franche gaieté ? On conviendra qu’elle est encore plus absente. Il faut avouer que Béranger lui-même n’en a que le premier abord et le semblant ; elle ne fournit bien souvent chez lui que le prétexte et le cadre, tandis qu’elle reste le fond chez Desaugiers. Celui-ci est le dernier chansonnier vraiment

  1. Ne dirait-on pas que le bon Panyasis en veut au thé ou à la bière ? Les Grecs de tout temps méprisèrent la boisson du Celte ou du Scythe.