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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/136

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et de combattre le préjugé populaire. Lord Brougham se souvient toujours de son whiggisme écossais ; le vieux rédacteur de la Revue d’Édimbourg ne cite pas Samuel Johnson sans le traiter de « grossier bigot ; » et s’il rabaisse le mérite historique de Hume, il prêté au doux et calme génie de Robertson un éclat et une vigueur qui lui ont toujours manqué. Esprit bien discipliné, servi par une investigation patiente et par un talent de style facile et abondant, Robertson ne méritait certes pas le mépris souverain du docteur Schlosser ; il s’élève au premier rang des talens modérés et des génies secondaires ; lord Brougham le compare tout simplement à Raphaël[1].

Ainsi, même de nos jours, se trouve soumise à la passion des partis la critique littéraire anglaise. Toutes les fois que lord Brougham échappe à son whiggisme invétéré, il retrouve la sûreté, la finesse du coup-d’œil et cette vigueur d’étreinte qui fut jadis la terreur de ses adversaires. On peut citer parmi ses excellens morceaux celui où il compare la chasteté de coloris et la pureté de lignes qui distinguent Robertson à cette recherche de l’effet enluminé que les modernes ont adoptée, et dont le commun des lecteurs est séduit. « Vers les deux heures du matin, dit Robertson, Colomb, debout sur la poupe, découvrit une lumière dans l’éloignement et la fit voir à don Pedro »Washington Irving a le même fait à raconter. — « Enveloppé des ombres de la nuit et caché à tous les yeux, dit-il, Colomb fit le guet avec une intense et continuelle observation, embrassant de l’œil tout l’obscur et vaste horizon. Soudain, vers deux heures du matin, il crut voir une lueur scintiller à distance. » Lord Brougham fait remarquer la triviale splendeur et le papillotage affecté de ces mots : « scintiller, — les ombres de la nuit, — le vaste horizon. » Il dénonce la dégradation subie par l’histoire, ainsi confondue avec les banalités du roman. En de pareilles observations littéraires ou philosophiques, lord Brougham est tout-à-fait supérieur, soit qu’il caractérise le style heureux et souple de Hume, ou qu’il fasse ressortir les secrètes et curieuses beautés que Robertson a voilées habilement. S’occupe-t-il des deux apôtres du XVIIIe siècle français, Jean-Jacques et Voltaire ? Il met le doigt sur le chef-d’œuvre spécial qui caractérise l’un et l’autre, et il indique, avec une certitude de coup d’œil qui appartient à peu d’esprits, Candide d’une part, de l’autre les Confessions, les deux réalisations intimes de leur génie.

Nous touchons ici au péché capital de lord Brougham. D’où lui est

  1. Life of Roberston, p. 15, édition Stassin, à Paris, rue du Coq.