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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/145

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rencontre Mme d’Houdetot, « vieille et toujours gaie et charmante. Ces personnages passent rapidement, mais si bien marqués qu’on les aime et les reconnaît, si fugitifs qu’ils soient.

Un certain jour, le directoire se rend à Notre-Dame « en grande procession pour remercier Dieu de la mort de Louis XVI ; » ce qui, par parenthèse, est une des facéties les moins logiques que l’histoire moderne ait ensevelies dans ses pages. « Il y avait, dit Swinburne, beaucoup de trompettes et de troupes, et très peu de curiosité. Le peuple regardait, sans s’émouvoir aucunement, passer les voitures fort simples qui renfermaient son gouvernement en costume espagnol. » La procession castillane et romaine une fois installée sous les arceaux de la cathédrale royale et gothique, « tout à coup Rewbell se trouva couvert de poussière et de débris, que des malintentionnés, logés dans je ne sais quels recoins des voûtes, firent tomber sur la tête du directoire exécutif. »

Si vous sortez de l’église, vous retrouvez dans les rues de Paris, en 1797, la population la plus singulière et la plus bariolée. « Les femmes ne montrent dans la rue que le bout de leur nez. Dans les bals, c’est autre chose ; là on ne cache absolument rien. Les promeneuses enfoncent leur cou, leurs épaules et la moitié de leur corps dans des fichus écarlates, avec de grandes bordures couleur orange ou couleur de rose… Quant au costume de soirée, dit-il ailleurs, c’est un peu trop fort (en français). Tous les bras sont nus jusqu’à l’épaule. Cela fait froid à voir. Mais on ne porte pas la taille courte comme en Angleterre. » La situation des deux femmes les plus célèbres du temps par la beauté et par le génie, Mme Tallien et Mme de Staël, doit inspirer quelques scrupules à ceux qui respectent encore le bruit populaire ; toutes deux étaient le but général de l’envie et de la haine. A peine mariée, en 1789, la fille de Necker vivait dans une atmosphère d’outrages et de calomnies. « On la trouvait, dit Swinburne, vaine, bavarde, dictatoriale et persuadée de ses mérites. » Quant à Mme Tallien, son apparition dans un bal en janvier 1796 est tristement piquante. « L’unique beauté qui se montra parmi tous ces piétineurs arriérés (kicking their heels) qu’une autre époque aurait condamnés à faire galerie, ce fut Mme Tallien ; elle avait la figure fatiguée ; sa vie est laborieuse, et elle a de quoi rêver. Elle portait une perruque boire, en tête de mouton, rattachée par derrière, entremêlée de diamans et de perles. Son costume était ponceau et or. Elle a un beau développement d’épaules, elle est très forte et d’une grande apparence ;