Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle danse bien, marche bien, ses yeux sont superbes, et son nez est singulier. Je ne puis appeler cela qu’un nez irlandais ; je ne sais si vous me comprendrez ; un nez très droit, mais relevé du bout dans le genre de Burke. Il n’y avait près d’elle qu’une dame de compagnie, ce que nous appelons l’avaleuse de couleuvres. Sa figure portait des traces d’abattement, et je ne m’étonne pas de sa tristesse ; plus d’un mot outrageant arrivait jusqu’à elle ; les femmes qui tiennent à leur réputation, celles même qui ont des maris républicains, ne veulent pas la voir. Peut-être n’a-t-elle de crimes que sa fortune et sa beauté… L’autre jour, tout un salon s’est désempli et est resté vide au moment où elle se montra. Peut-on rien imaginer de plus ridicule, quand on pense que, parmi ces femmes, pas une ne s’est abstenue ou ne s’abstiendra demain de lui demander directement ou indirectement et d’obtenir d’elle quelque grace ? » Ces détails sont plus significatifs dans leur naïveté que toutes les phrases.

J’aime aussi beaucoup l’évêque Couet, et « sa petite bonne, » vivant au quatrième « avec son bon petit magot d’écus, » et M. Cubières, « écuyer cavalcadour, » se jetant pour exister « sur les fournitures de foin de la république, » et au milieu de toutes ces bizarreries, le gros lord Malmesbury, tout gourmé, tout gonflé, se donnant une grande importance et ne faisant absolument rien. « J’allai voir, dit Swinburne, les femmes qui ont servi d’intermédiaire à lord Malmesbury et à Sidney Smith. Il les nomme ses Muses. Elles demeurent au cinquième dans une maison qui donne sur le marché Saint-Germain. Ce sont probablement des espionnes du directoire. Je trouvai deux sorcières, l’une plus jeune, l’autre plus vieille, donnant des soins à un enfant. Ce sont ces femmes qui ont remis à Sidney Smith, enfermé au Temple, des billets roulés dans des coques de noix, et de l’argent qui, j’en suis sûr, diminuait en passant par leurs mains. » Nulle part on ne trouve une plus complète et plus amusante peinture de Paris à cette époque. Swinburne, à son retour, est frappé du changement que sept terribles années ont fait subir à la France. « Je cours la ville, dit-il, avec l’étonnement d’un enfant. Que tout est changé ! Tout le mouvement, toute la vie, se concentrent sur un point unique, autour du Palais-Royal. Le reste est sombre et comme désert… Quant à la population, elle a gagné ; comme les femmes ne mettent plus de rouge, je les trouve embellies, leur peau est moins ridée et leur teint plus clair ; des mœurs, je n’ai rien à vous dire ; le costume favori est un certain pantalon couleur de chair et collant sur lequel on fait