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et frappée d’idiotisme. « Nous trouvâmes le cardinal d’York officiant dans l’église de Frascati (Swinburne était catholique) ; nos dames portaient de grands chapeaux à la mode du temps. Le cardinal ex-prince leur envoya dire qu’elles eussent à les ôter : or, vous savez que ces chapeaux sont attachés à un coussinet par derrière, et que de très longues épingles les assujettissent. Ma femme fit répondre à son éminence qu’elle priait son altesse royale de lui envoyer son coiffeur pour l’aider à se dépêtrer, qu’autrement il lui serait impossible d’entendre la messe en cheveux. De longs messages diplomatiques s’ensuivirent, et le cardinal fut inexorable. C’est un personnage fort laid, au visage long, très semblable à son grand-père, comme lui hautain, bigot, têtu et ridicule. » - « Le comte d’Albany, le second prétendant, frère du cardinal d’York, dit ailleurs Swinburne, est toujours endormi dans sa loge, et ivre à la fin du premier acte. Il a l’œil rouge, la face rouge et l’air stupide. Sa femme, dont le nez est retroussé et très gros, a pour constant chevalier le Piémontais Alfieri. »

En courant l’Europe, de 1775 à 1789, avec Swinburne, on est saisi d’une profonde tristesse, tant les présages révolutionnaires surabondent. Les tristes bals de Marie-Antoinette, l’introduction de la simplicité des costumes à la cour, la destruction de l’étiquette, qui annonce le peu de foi aux vieilles formules, la prépondérance acquise par Cagliostro, « ce roi des faiseurs de dupes, » par Mesmer et le comte de Saint-Germain, « les deux prophètes, » l’énorme prodigalité des gentilshommes, apparaissent de toutes parts comme symptômes funèbres. On ne peut pas prétendre que ces renseignemens soient arrangés après coup ; Swinburne écrit ses notes familières entre 1775 et 1789. « L’extravagance de ce monde-ci est inimaginable. Jamais chez nous, on n’a rien vu de tel. Le trousseau de Mlle de Matignon, qui va épouser le baron de Montmorency, coûtera 25,000 livres sterling. Il y aura cent douzaines de chemises et le reste à l’avenant. Vous voyez que l’équipement d’une mariée n’est pas une petite affaire ; on regarde comme chose très ordinaire cinq mille livres sterling de dentelles, de mousselines et de soieries. » Peu d’années après, Necker venait annoncer à ces mêmes gentilshommes le déficit de l’état et essayer de le combler. Une crainte secrète, un pressentiment et comme une saveur mortuaires se répandaient partout, à la ville et à la cour. Les princes eux-mêmes comprenaient que les choses ne pouvaient aller ainsi long-temps, et Swinburne rapporte un propos bien étrange du comte d’Artois, qui fut Charles X. C’était en 1787. Loménie