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esprits et les ames ; pour cette dernière œuvre, les voyageurs tels que Swinburne sont excellens ; ce sont eux qui jettent la lumière la plus calme et la plus vraie ; avec eux, nous pouvons rectifier les jugemens, pondérer les opinions, redresser les erreurs et contrôler par l’étude des mœurs réelles l’analyse de ces produits de la pensée ou de ces conquêtes de la science, qui se dirigèrent vers un même but, renversèrent les mêmes idoles et saluèrent la même aurore.

Essayons de débrouiller ce chaos, résumons-nous. L’impulsion première de tout le siècle lui vient de la religion et de la politique soumises au raisonnement individuel. Cette impulsion part de l’Angleterre calviniste de 1688, où s’établit la tolérance et la soumission du roi à la loi ; elle enfante sur sa route la révolution américaine, elle aboutit enfin à la révolution française. Il s’agit donc, pour comprendre le XVIIIe siècle, de mesurer la pente sur laquelle, entre 1688 et 1789, l’Europe a été entraînée.

Pendant cet espace de temps, la France court à la réforme sociale, l’Angleterre à la conquête maritime et industrielle, l’Allemagne à la réalisation poétique de son génie propre ; l’Espagne s’agite dans son impuissance, l’Italie dort et fait de la musique, et l’Amérique septentrionale éclot à la vie politique.

En Angleterre, de 1688 à 1750, s’établit, avec le triomphe du puritanisme, de la maison de Nassau et de celle de Hanovre, le premier foyer des idées populaires et philanthropiques ; ces idées s’y réalisent par les banques, les hôpitaux, les institutions pour les sourds-muets, la caisse d’épargne et celle d’amortissement. La théorie de ces idées populaires, puritaines d’origine, puis sceptiques et semi-républicaines dans l’application, se répand en France avec Bolingbroke et les réfugiés anglais. Du mariage de ces théories avec la libre et voluptueuse vie de la régence naissent les étranges mœurs de notre XVIIIe siècle l’Angleterre, après son compromis de 1688, arrive à la conquête de l’Inde et des mers ; la France écoute Bolingbroke, glorifie Voltaire, et résout par sa révolution les problèmes agités par elle pendant cent ans, et empruntés à l’Angleterre. Quant à l’Allemagne, restée d’abord étrangère au mouvement, elle commence par entrer, vers 1730, dans une voie de mysticisme protestant ; elle débute par le piétisme, que le docteur Schlosser dépeint très bien, essaie de se rapprocher de la vie pratique anglaise en suivant le philosophe Thomasius, et, bientôt après, cherche la régularité française avec Gottsched. L’élément français est vaincu en Allemagne par l’importation de l’influence anglaise,