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que Lessing et Herder font triompher ; enfin Goethe, Kant et Schiller apparaissent éclatans au bout de la carrière.

Ainsi, comme je l’ai dit, le grand mouvement de l’Allemagne au XVIIIe siècle est tout littéraire ; celui de la France, tout philosophique ; celui de l’Angleterre, tout pratique. Dans ces trois divisions même, l’élément populaire, appuyé sur les sciences physiques, ne suspend pas un moment son progrès. Ces larges cadres ne sont pas des hypothèses, mais des faits irrécusables et d’une exactitude rigoureuse, où viennent se placer les plus petits groupes, les moindres subdivisions : ici, par exemple, Genève calviniste, républicaine et moraliste, donne la main à l’Écosse analytique et presbytérienne ; — la Hollande des Boerhaave et des vieux Mieris, des médecins observateurs et des peintres à la loupe, va se perdre et se confondre avec l’Angleterre, qui a ses Crabbe et ses miss Burney, observateurs non moins minutieux et détaillés ; — enfin l’Amérique de Franklin, calviniste d’abord, puis parvenue au scepticisme, se rattache à Genève et à l’Écosse par des points nombreux et singuliers, et devient l’expression la plus complète du progrès matériel préparé par l’Angleterre de Priestley et la France de Lavoisier.

C’est vers ce progrès matériel que la France et l’Europe et le monde sont emportés aujourd’hui. On voit combien le passé, mesuré avec soin, reconnu avec scrupule, est important pour éclairer et le moment présent et les horizons de l’avenir.


PHILARÈTE CHASLES.