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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/16

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ami de Sacchini, de Gluck, a donné des opéras et d’autres morceaux lyriques appréciés des maîtres. Notre Desaugiers eut deux frères, dont l’aîné, traducteur et commentateur distingué des Bucoliques de Virgile, a fait ses preuves et à l’opéra encore et dans la cantate. Il y avait dans cette famille comme un courant naturel de verve, de gaieté et de musique, qui allait du père aux enfans. Ces courans-là, en se divisant, ont aussi leurs caprices et leurs inégalités de veine : ici ce n’est qu’un filet, là c’est un jet à gros bouillons. Nous n’avons qu’à suivre dans son plein la source même.

Le jeune Desaugiers marqua dès l’enfance d’heureuses dispositions. Son père, qui était venu s’établir à Paris, le mit pour faire ses études au collège Mazarin, et l’écolier, en terminant, y eut pour professeur de rhétorique Geoffroy, nature peu délicate assurément, mais plus nourri de l’antiquité et des Grecs qu’on ne l’était généralement alors, même au sein de l’Université. L’autre professeur de rhétorique, dont le jeune Desaugiers suivait également les leçons, était un M. Charbonnet, que Duvicquet donne pour homme d’esprit dans toute l’acception du mot, et qui, ajoute-t-il, tournait fort bien le couplet[1]. Rien donc ne manqua, ni au collége, ni au logis, pour mettre en jeu des facultés naturelles, si vives dès le premier jour. Un honorable chanoine de l’église de Paris, compatriote de la famille Desaugiers, écrivant à l’un des frères du célèbre chansonnier sur la nouvelle de sa mort (août 1827), lui rendait ce gracieux témoignage : « Je n’oublierai jamais l’homme aimable que j’ai vu dans sa première enfance, et dont feu l’abbé Arnaud avait tiré l’horoscope qu’il a si bien justifié : « Voilà, disait-il du jeune Tonin[2], voilà une tête grecque. » Il aurait pu dire aussi : Voilà une tête romaine, et y découvrir des traits de ressemblance avec le bon, l’aimable Horace, que votre ingénieux chansonnier rappelait si souvent. Si je n’avais pas craint d’effaroucher sa muse folâtre et de rembrunir sa gaieté, je l’aurais volontiers recherché pour partager celle qu’il répandait autour de lui. Avec moins de raisons de me tenir à l’écart que monseigneur l’évêque de Verdun, le sérieux de mon état me paraissait contraster avec cette gaieté habituelle, qui, au surplus, au dire de M. le curé de Saint-Roch,.n’a jamais passé les bornes de la décence. »

Nous aurons plus tard occasion de revenir sur cette indulgence du

  1. Article sur Desaugiers dans le Journal des Débats du 12 août 1827.
  2. Dans son enfance, on l’appelait Tonin, diminutif d’Antoine ; plus tard, en famille, on l’appelait Saint-Marc.