- Toute une philosophie sociale va se mêler insensiblement à cet élan du poète, et nous voilà bien loin de la gaieté. — M. de Laprade, à son tour, célébrant la Coupe, dans une pièce pleine de beaux vers, a dit :
Des hautes voluptés nous que la soif altère,
Fils de la Muse, au vin rendons un culte austère,
Buvons-le chastement, comme le sang d’un dieu.
C’est là ce qu’on peut appeler s’enivrer du bout des lèvres et selon la méthode des Alexandrins, en christianisant du mieux qu’on peut le Bacchus du paganisme, en symbolisant l’orgie sacrée avec des réminiscences de la communion. C’est de l’ivresse tempérée et commentée de métaphysique[1]. On ne saurait mieux marquer que par de tels traits la différence qui nous sépare de nos pères ; ceux-ci et Desaugiers le dernier, dans leur manière d'entendre le vin, c’est-à-dire de le boire et de le chanter, tenaient un peu plus directement, on en conviendra, des façons du bon Homère et de celles du bon Rabelais.
Marc-Antoine Desaugiers naquit le 17 novembre 1772, à Fréjus en Provence. C’est cette même ville qui avait donné naissance à Sieyès, le grand métaphysicien de 89 ; venant après lui et sorti du même lieu, le chansonnier de l’Empire et de la restauration semblait destiné à prouver qu’en France, même après 89, tout finit encore par des chansons. Mais cela n’était plus vrai qu’en passant, et l’issue a prouvé qu’il ne fallait pas se fier à l’apparence. Pour les Bourbons, si on veut le prendre en un certain sens, tout a fini en effet par des chansons, mais ç’a été par celles de Béranger, non point par celles de Desaugiers.
Desaugiers sortait d’une famille où les dons du chant et de l’esprit semblent avoir été héréditaires. Son père, compositeur de musique et
- ↑ Que Pindare abordait autrement la coupe dans ce début sublime de la vue olympique, où il compare les libéralités de sa muse à l’envoi d’un nectar généreux ! J’y voudrais faire sentir du moins le désordre de mouvement, la largesse d’effusion et l’opulence
« Comme lorsqu’un riche, prenant à pleine main la coupe toute bouillonnante au dedans de la rosée de la vigne, après avoir bu à la santé de son gendre, la lui donne en cadeau pour l’emporter d’une maison à l’autre, — une coupe toute d’or, son bien le plus cher et la grace du festin, — honorant par là son alliance, — et il rend le jeune époux enviable à tous les amis présens pour un si cordial hyménée ;
« Et moi aussi, riche du nectar versé, présent des Muses, j’envoie ce doux fruit de mon génie aux héros chargés de couronnes, et j’en favorise à mon gré les vainqueurs d’Olympie et de Delphes… »