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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/186

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1er mars l’art de persuader sans efforts et de convaincre à son système en ayant l’air de l’exposer sans intention ?

À merveille ! va-t-on dire ; le gouvernement représentatif touche donc à la perfection ! Nous sommes, sans nous en douter, en plein âge d’or constitutionnel ! Mon Dieu, non. Si l’institution est excellente, il est fâcheux d’ajouter que les hommes ne valent pas l’institution : comme dirait M. Hugo le pair de France en son langage de poète, le ver est dans le fruit. En d’autres termes, si la chambre des députés, à notre avis, ne fait qu’user largement de ses prérogatives dans l’intérêt général, le député abuse trop souvent des siennes dans son intérêt privé. Au moment où nous admirons le jeu magnifique de l’institution, nous nous heurtons au despotisme étroit de l’individu.

Le mal est réel, la plaie est vive, d’autant plus que le monopole créé par le député pour son agrément n’est pas près de s’arrêter ; il s’étend chaque jour. Être député va bientôt tenir lieu de tout, comme le sans dot d’Harpagon. Dès qu’on a réuni les suffrages de cent cinquante électeurs autour d’un clocher, on est une puissance, et l’on peut, sans trop de présomption, aspirer à quoi que ce soit : le sacre de quelques électeurs, le plus souvent de quelques bons paysans qui sont l’ignorance même, produit des effets vraiment magiques, et communique sans doute je ne sais quel mérite surnaturel. La vérité est que vous êtes aussitôt un personnage hors ligne. Dès lors, si vous daignez demander un emploi, qu’un homme supérieur ne s’avise pas de se mettre à la traverse et de vous faire concurrence : à peine il se serait montré, qu’il serait étendu sur le carreau. Dix hommes de talent sollicitent une place ; c’est un sot qui l’obtient. Mais quoi ! il avait deux boules dans la main, et que vouliez-vous que fit le ministre, par ce temps de majorités imposantes d’une ou deux voix ? Le ministre ne pouvait que serrer fort gracieusement une main qui lui sera prochainement d’un bon secours, fort heureux qu’on lui tendît, cette main tout ouverte et qu’on lui offrît l’occasion de la remplir. On avouera que, dans un pays démocratique comme le nôtre, c’est un beau privilège que le député s’est arrogé. — Si un père de famille rêve pour son fils un brillant avenir administratif, au lieu de lui souhaiter du talent et du caractère, il fera mieux de lui souhaiter deux cents électeurs.

Le député, c’est le dieu Pan : il est partout. Hier encore, on signalait à la chambre, avec une louable fermeté, sa présence dans les choses administratives, où il n’apporte que des désordres. C’est le député qui morigène, déplace ou destitue des fonctionnaires d’un ordre assez élevé qui avaient cru s’attacher au service d’un gouvernement libre, et qui se trouvent réduits à la merci d’un pacha au petit pied. Cela est intolérable, et malheureusement cela durera aussi long-temps qu’il y aura des ministères voulant vivre à tout prix, et, au lieu de s’adresser ouvertement aux sentimens généraux, aimant à abriter leur petite politique derrière des transactions particulières et des manéges à huis-clos. Or, en France, la corruption n’est dangereuse que lorsqu’elle se cache ; mais alors elle l’est beaucoup, car elle peut s’éterniser. Nous n’avons et nous n’aurons pas de Walpole marquant avec des billets de banque certains