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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/232

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de s’échapper à force de rames ; mais un brigantin de la flottille espagnole le poursuivit : il fut pris et mené à Cortez, qui le reçut avec les égards dus à une tête couronnée. Lui, s’avançant avec dignité sur la terrasse préparée pour cette triste entrevue d’un prince captif avec son vainqueur : « J’ai fait, dit-il, tout ce que j’ai pu, Malintzin, pour sauver ma couronne et mon peuple. Vous voyez où je suis tombé maintenant ; faites de moi ce que vous voudrez. » Et, indiquant du doigt un poignard placé dans la ceinture du général, il ajouta avec véhémence : « Tirez cette arme, et finissez-en avec moi. — Non, répondit Cortez, vous serez traité avec un profond respect. Vous avez défendu votre capitale comme le plus brave des princes ; les Espagnols savent honorer la valeur jusque dans leurs ennemis. » Il s’informa ensuite de l’impératrice, qui était fille de Montezuma, l’envoya chercher avec une escorte, et fit servir un repas à ses deux augustes prisonniers. L’empire aztèque avait cessé d’exister ; la domination espagnole était établie au Mexique. La croix triomphait dans ce beau pays, et son règne était sans partage.

Lorsqu’on examine la conquête du Mexique sous le rapport religieux et sous le rapport politique, elle présente, on le voit, un rare intérêt ; mais c’est un récit très attachant à d’autres titres encore. On croirait avoir pris lecture d’un poème épique ou d’un roman de chevalerie, tant les évènemens et les simples incidens y sont sur des proportions grandioses, inouies, tant les hommes s’y montrent puissans, tant le merveilleux lui-même y a de part. Quant à la grandeur des évènemens, il suffit pour la mesurer de tracer le programme de l’entreprise telle qu’elle s’est passée. Voilà un aventurier qui, parti de Cuba avec 553 soldats, 110 marins, 16 chevaux, 13 arquebuses, 32 arbalètes, 10 pièces de canon, 4 fauconneaux, ose s’attaquer à un empire dont tout lui révèle bientôt que la population est d’une admirable bravoure, dont le souverain fait d’un signe tout trembler au loin, et tient, dit-on, rangés sous sa loi trente vassaux en état de mettre chacun 100,000 hommes sous les armes. Cortez ne se propose pas seulement de faire reconnaître son maître Charles-Quint aux habitans de ce formidable empire et à leur superbe empereur comme leur suzerain, il forme la résolution de les obliger à abjurer leur religion, c’est-à-dire à faire le plus grand sacrifice qu’on puisse demander à un peuple. Il le veut, il le tente, et il ne lui faut pas trente mois pour y réussir.

Auprès d’un tel sujet le thème de l’Iliade paraît exigu et pâle. Qu’est-ce en effet sinon la brouille et le racommodement d’Achille et d’Agamemnon