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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/277

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Avant tout, il convient de faire nos réserves. Quand il serait bien prouvé que les chemins de fer doivent neutraliser les canaux, comme moyens de transport, partout où ils seront établis en concurrence, nous nous garderions bien encore de proférer ce cri sauvage : supprimons les canaux pour établir des lignes de fer dans leurs lits. Les canaux sont les prolongemens des rivières ; avec quelques avantages de moins, ils offrent aussi quelques avantages de plus, et, à tout prendre, ils en multiplient les bienfaisans effets. Ils distribuent d’une manière égale sur la surface d’un territoire ce fluide précieux, l’eau, dont la surabondance est un désordre, dont l’absence est un fléau. Ce n’est pas le moindre de leurs mérites d’agrandir le domaine de l’homme en augmentant l’étendue, de la terre cultivable. Si le sage ministre Sully regardait comme un service rendu à l’humanité la plantation d’un arbre, que n’aurait-il pas dit de la construction d’un canal ! On peut hésiter à ouvrir un canal à cause de la dépense que ce travail entraîne ; détruire celui qui existe, c’est un acte insensé, barbare, contre lequel l’humanité proteste.

S’il était vrai que les chemins de fer dussent rendre les canaux inutiles comme moyens de transport, loin de tirer de là la conséquence extrême que ces derniers doivent disparaître, tout en admirant la merveilleuse puissance des voies nouvelles, nous déplorerions peut-être ce résultat, qui, sans dispenser à l’avenir de la construction de certains canaux nécessaires, rendrait pourtant le public moins ardent à réclamer et le gouvernement moins prompt à entreprendre ces utiles créations. Nous le déplorerions d’autant plus que nous ne verrions plus alors, pour l’exploitation des voies nouvelles, de bon système possible. Abandonnées aux compagnies, elles deviendraient en peu de temps, c’est-à-dire après la destruction des canaux et malgré toutes les réserves des cahiers des charges, l’objet d’un monopole étroit dont le public paierait largement les frais. Réservées à l’état, elles deviendraient avec non moins de certitude la proie de ces maladies incurables, l’insouciance, l’oubli, la négligence, le désordre, maladies inévitables, fatales, dont tous les établissemens de l’état sont affectés. Heureusement il n’en est rien, et nous espérons prouver clairement, malgré tous les raisonnemens contraires, que les canaux conserveront toujours, quoi qu’il arrive, un avantage sensible sur les chemins de fer, quant au transport des marchandises pesantes.

Pour résoudre cette question, il semble qu’il devrait suffire de rassembler les faits épars qui se sont produits dans des contrées diverses,