Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/309

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces querelles ont exercé sur les esprits une influence générale. Dans un pays comme la France, dans un siècle comme le XVIIe, où la théologie était à la fois un goût sérieux et une mode, quand les deux adversaires sont un Bossuet et un Fénelon, se pourrait-il que de nombreux écrits fussent sortis de telles plumes sans que l’esprit français en fût touché, sans que l’art et la langue y aient été intéressés ?

C’est par ce côté que m’a attiré la querelle de ces deux grands hommes, et peut-être y aurait-il utilité à étudier dans la même vue toutes les querelles, soit philosophiques, soit théologiques, qui ont occupé le XVIIe siècle. Il en résulterait certainement cette vérité, que si toutes ont servi à former l’esprit français, il a été néanmoins d’un intérêt capital pour la conduite générale et la perfection de cet esprit, que la victoire soit demeurée successivement à Descartes contre Gassendi, à Pascal contre les jésuites, aux catholiques contre les protes tans, et enfin à Bossuet contre Fénelon.

La cause véritable de ces luttes si diverses, c’est la guerre de la liberté contre la discipline, du particulier contre le général, de ce que Fénelon appelait le sens propre contre ce que Bossuet appelle la tradition et l’universel. Or, s’il a été bon que ces deux principes se disputassent à qui donnerait sa forme à l’esprit français, n’importait-il pas néanmoins que la discipline fût victorieuse de la liberté, le général du particulier, la tradition du sens propre ? D’autant plus que ces victoires n’ont pas été meurtrières, et que le principe vaincu n’a pas péri. Seulement il est resté au second rang. C’est l’image de cette lutte intérieure de nos facultés, dont parle Bossuet dans le Traité de la Connaissance de Dieu et de soi-même. S’il est bon que l’imagination et les sens aient leur part, il faut que la raison domine. Cet équilibre même, qui paraît le plus haut état de l’intelligence humaine, n’est que l’effet de la domination de la raison, c’est-à-dire de la seule faculté qui ne se trompe pas, tenant la balance entre les facultés qui se trompent.

S’il est un pays où cette vérité soit une croyance populaire, c’est la France. Voilà pourquoi la liberté de spéculation, qui paraît être un droit naturel, y a toujours été contenue, quelquefois opprimée, aux époques même où l’on reconnaissait et tolérait d’autres libertés en apparence aussi considérables. C’est que la spéculation, dans une tête française, ne se résigne pas long-temps à être oisive. Elle veut agir, se propager, devenir la règle et la loi. De là l’état de suspicion où elle a toujours été tenue par la puissance publique, sous les noms les plus divers, jansénisme, jésuitisme, quiétisme, idéologie.