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Bossuet n’eut pas d’abord pour lui le roi et Mme de Maintenon, ou, s’il les eut, ce fut d’autorité plutôt que par leur penchant. « Il n’y a rien à en attendre, écrivait-il à son neveu, que des choses générales dans l’occasion. » On sait que les jésuites étaient à la cour les garans de l’orthodoxie de Fénelon ; il y était d’ailleurs fort soutenu par les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse, dont il était l’ame, et par l’affection que le duc de Bourgogne gardait à son ancien précepteur ; mais Bossuet finit par entraîner tout.

Le plus considérable de ses partisans fut Leibnitz. L’adhésion de Leibnitz est d’autant plus décisive qu’elle venait d’un protestant, et que bon nombre de protestans penchaient pour Fénelon à cause du schisme qu’il introduisait dans l’église catholique, et par hostilité contre Bossuet, qui leur avait porté un coup si rude dans son Histoire des Variations. L’opinion de Leibnitz sur la querelle entre Bossuet et Fénelon est le jugement même de la postérité. Il n’y a rien à y changer.

D’abord, sur le premier bruit des préventions dont le livre des Maximes est l’objet, il incline vers Fénelon comme vers l’opprimé « Ne fait-on pas un peu de tort à M. l’archevêque de Cambrai ? écrit-il à l’abbé Nicaise. Je me défie toujours un peu du torrent populaire, et toutes les fois que j’entends crier crucifige ! je me doute de quelque supercherie. » Puis, après avoir lu les écrits des deux prélats, il se range du côté de Bossuet. Il approuve fort la lettre de l’abbé de Rancé. Il trouve excellens les vers de Boileau sur le pur amour :

C’est ainsi quelquefois qu’un indolent mystique,
Au milieu des péchés tranquille fanatique,
Du plus parfait amour pense avoir l’heureux don
Et croit posséder Dieu dans les bras du démon[1]


Selon les apparences, pense-t-il, Mme Guyon est une orgueilleuse visionnaire, et l’archevêque de Cambrai a été trompé par son air de spiritualité. Enfin il approuve la conduite de Louis XIV faisant cesser la dispute, et il loue jusqu’au bref ou bulle du pape, dit-il, qui condamnait Fénelon. « Je suis, conclut-il, prévenu pour deux choses : l’une est l’exactitude de M. de Meaux, l’autre est l’innocence de M. de Cambrai[2]. »

Cette innocence n’était contestée de personne. Mme de Maintenon,

  1. Épître sur l’amour de Dieu.
  2. Mélanges philosophiques, publiés par M. Cousin.