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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/328

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des esprits subtils, lui donnèrent l’idée, je devrais dire, la tentation, d’en venir aux personnalités. L’impatience l’avait gagné. Il sentit que tout ce qui lui restait à vivre se serait consumé vainement à poursuivre un adversaire qui, par mille tours de souplesse, échappait à toutes les prises ; car comment réduire cette opiniâtreté qui affectait toutes les offres de soumission et d’obéissance ? Comment arracher une concession à un homme toujours prêt à céder, disait-il, pourvu qu’on lui marquât avec précision les endroits et les sens condamnables, et qui n’était jamais d’accord ni du sens, ni de l’endroit qu’on lui marquait ? L’attaquait-on par le sens direct, c’est par l’indirect qu’il se défendait, et de quelque côté qu’on le prit, ou bien il n’avait pas dit ce qu’on lui faisait dire, ou bien on ne lui faisait pas dire ce qu’il avait dit. Lui opposait-on quelque endroit noté comme erroné : il y avait fait des correctifs auxquels on n’avait point eu d’égard. Lui montrait-on qu’il s’était contredit en soutenant deux propositions opposées et également absolues, l’une des deux, disait-il, ne devait être entendue qu’au sens relatif. Ce n’était pas mauvaise foi : il n’est pas donné à la mauvaise foi d’être si opiniâtre, car, comme elle a pour mobile un intérêt, il suffit d’un intérêt plus grand pour la faire céder ; mais la bonne foi d’un esprit subtil et chimérique lasserait la raison du genre humain.

Quoi qu’il en soit, Bossuet perdit patience, et, passant des doctrines aux faits, il publia la Relation du Quiétisme, livre admirable dont les belles et faciles réponses de Fénelon ne purent affaiblir l’effet. Ce livre ruinait les doctrines de l’archevêque de Cambrai par les vrais principes, présentés de nouveau et résumés avec une invincible exactitude, et par les motifs secrets que Bossuet n’aurait pas dû trahir. On ne vit plus une question de dogme, mais un prince de l’église, un archevêque, un esprit supérieur, devenu le sectaire d’une femme que les plus indulgens tenaient tout au moins pour folle. Vainement, dans ses réponses, Fénelon prodigua la dignité et les graces ; sa générosité même se tournait contre lui, car en affectant de donner le nom d'amie à Mme Guyon, il découvrait son illusion ; et si la charité eût alors parlé au cœur de Bossuet, il eût regretté d’avoir réduit son adversaire à avouer un commerce qui ne pouvait être que coupable ou ridicule. A la vérité, la vertu de Fénelon n’avait pas permis qu’il fût coupable ; mais la supériorité de son esprit n’avait pas empêché qu’il fût ridicule. En tout cas, l’explication de sa conduite dépendait du caprice des jugemens humains, et ce fut le comble du scandale et de la disgrace que quelqu’un pût se croire le droit de douter de l’innocence de Fénelon.