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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/327

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mieux compris, et, dans l’art qu’il met à les défendre, la méthode éternellement la meilleure pour rechercher et exposer toute espèce de vérité.

Le livre de Fénelon parut un peu après celui de Bossuet. Il l’avait fait lire en manuscrit à l’archevêque de Paris et à l’évêque de Chartres, qu’il essayait, en habile homme, Leibnitz a autorisé le mot, de séparer de l’évêque de Meaux. Ce fut une nouvelle blessure pour Bossuet. On se cachait de lui, on le voulait brouiller avec ses confrères, et peu s’en était fallu que Fénelon n’y réussit, car il obtint d’abord pour son livre une sorte d’approbation, que les deux prélats lui retirèrent ensuite avec éclat, parce qu’il n’en sut pas user discrètement.

Pendant que Rome examinait ce livre avec la lenteur propre au saint-siège, la guerre de plume commença entre les deux adversaires. Les écrits se succédaient sans interruption. A Rome, on se disputait les juges par des traités ex professa écrits en latin ; à Paris, on se disputait les spectateurs par des attaques et des répliques en français. Quatre lettres de Fénelon, pleines de vivacité et d’esprit, mirent d’abord le public de son côté. Il y atténuait tout ; il répandait de la grace sur les arides formules du livre des Maximes. Tous les esprits cultivés qu’il conviait, par de si agréables avances, à prendre sa défense, lui surent gré de les rendre compétens, par tant de précision et de clarté, dans une matière de théologie si ardue. On admirait cet air de résignation et de candeur ; on se laissait prendre à ces offres de soumission sous lesquelles perçaient l’assurance et l’opiniâtreté, à cette sensibilité qui touchait les femmes. Une première disgrace de cour vint ajouter au charme. Louis XIV avait relégué Fénelon à Cambrai. Le succès de ces lettres fit dire à Bossuet : « Qui lui conteste l’esprit ? Il en a jusqu’à en faire peur, et son malheur est de s’être chargé d’une cause où il en faut tant. » Pour lui, il répondit avec sa vigueur et sa simplicité ordinaires, se renfermant jusqu’à la fin dans l’exactitude, pensant plus aux juges qu’aux curieux. « Pour des lettres, écrivait-il à Fénelon, composez-en tant qu’il vous plaira ; divertissez la ville et la cour, faites admirer votre esprit et votre éloquence, et ramenez les graces des Provinciales ; je ne veux plus avoir de part au spectacle que vous donnez au public. »

Sauf quelques passages où l’aigreur avait peine à se cacher, la polémique n’avait porté jusqu’alors que sur les doctrines ; mais les lenteurs du saint-siège, auprès duquel Fénelon avait de puissans amis, un premier jugement où les voix s’étaient partagées, tant de raffinemens nés de la dispute, toute cette mauvaise fertilité, comme l’appelle Bossuet,