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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/33

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dehors, était un homme d’intérieur ; mari et père tendre, voué aux affections domestiques, il n’a laissé au sein de la famille la plus unie que des souvenirs pieux et inaltérés, aussi vifs après tant d’années que le premier jour. Les instans où il parvenait à s’arracher au monde et où il s’asseyait parmi les siens, à sa table bourgeoise, étaient peut-être ses plus vrais jours de fête à lui. — On a dit qu’il avait un certain fonds mélancolique sous sa gaieté. Il disait lui-même que sa première pensée au réveil était toujours triste. J’ai vu son portrait peint par Riessner le père, datant de 1812, et avant cet embonpoint qu’il prit dans la suite : la finesse et la sensibilité y frappent tout d’abord. Sa figure, si on la surprenait au repos, était plutôt mélancolique. Quand il était au piano, il finissait volontiers, au bout d’un certain temps, par tomber dans la pure romance sentimentale ; mais dans l’habitude, et dès qu’il voyait des visages et des yeux humains, il souriait, il étincelait au premier choc, et la gaieté ne tarissait pas.

Il y avait jusque dans sa manière de serrer la main quelque chose de moelleux et de naturellement caressant, qui exprimait l’affection.

Je continue de le peindre, tel qu’on me l’a montré, tel qu’il m’apparaît tout-à-fait présent. Très distrait, très flâneur, il est toujours en retard dans les dîners d’étiquette où il se rend ; il s’attarde aux boutiques, aux passans, au polichinelle du coin, même quand la belle compagnie, à deux maisons de là, pourrait très bien l’apercevoir du balcon. Il entre, une saillie s’échappe, et tout est réparé.

Directeur du Vaudeville, il était peu fait, on le conçoit, pour les détails et pour les tracas de l’administration. Pourtant, par le privilège de sa nature, il apaisa d’un mot et fit tomber plus d’une fois les différends. Tendrement aimé de la jeunesse, il la favorisait avec zèle. Dans les pièces de jeunes gens qu’il faisait jouer, combien de fois il lui arriva de jeter des couplets sans s’en vanter, quelques grains de son sel ! — Le soir, en rentrant du théâtre, à minuit, il se mettait à lire les pièces présentées, avant de les faire lire au comité. Il les lisait jusqu’au bout, et écrivait aux auteurs des lettres longues, motivées, paternelles, qui adoucissaient les refus. Tous les conflits d’amour-propre ou d’intérêt se taisaient aisément devant lui. Il était de ceux qui ont un don à part, et qui sont destinés par la nature, non-seulement à égayer, mais encore à adoucir les relations des hommes. — On pouvait le définir zone joie de la vie.

Il y avait dans tout son être un liant unique ; on sentait bien au vrai que la joie était là-dedans. Il semblait dire à tous en entrant : « Nous