Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/330

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il y ait un vainqueur et un vaincu, toutes les fois que le principe du sens commun ne peut pas vivre avec le principe contraire, il faut qu’il l’emporte. Le plus beau moment des sociétés humaines est celui où une transaction est possible, et où le sens commun, qui ne mérite ce nom qu’à la condition de ne rien exclure, s’enrichit des inventions du sens propre tout en triomphant de ses excès.

Dans la querelle entre Bossuet et Fénelon, la transaction était impossible : le sens propre n’y apportait que les pires de ses excès, des subtilités à fatiguer l’intelligence de théologiens comme M. Tronson, une piété qui paraissait inaccessible à des solitaires comme l’abbé de Rancé. Il importait donc qu’il fût vaincu ; il l’importait pour l’esprit français comme pour la religion. Orthodoxe quant à la foi, Bossuet ne le fut pas moins quant à la méthode, et si l’on ne cherche dans cette polémique que des règles et des leçons pour la conduite de l’esprit, la supériorité du talent, comme la gloire du bon exemple, appartiennent à Bossuet.

Dans cette admirable polémique, Bossuet laisse rarement voir la personne. S’il parle de lui, c’est seulement à titre d’évêque chargé du dépôt des ames. On l’a accusé d’arrière-pensées de rivalité : s’il en mérite le reproche, Dieu le sait ; mais il n’en paraît rien dans ces écrits où il semble porter la parole au nom de l’église assemblée, sans ménagement mondain, mais sans colère. Bossuet ne songe pas plus à éviter le soupçon de jalousie qu’à affecter les vains égards. Rien, dans ses écrits, n’est donné au désir de plaire ; nulle affectation de candeur hors de propos, point d’inutiles marques de déférence pour cacher le secret plaisir de colère avec lequel on porte les coups, point d’éloges excessifs prodigués à l’adversaire pour détourner l’accusation d’envie. Bossuet n’a pas besoin de surfaire le mérite de Fénelon, parce qu’il ne craint pas de l’estimer. Tantôt l’énormité de ses erreurs le révolte ; tantôt les prodigieuses ressources de ce talent lui tirent des paroles d’admiration qui ne sont pas de vaines atténuations du tort qu’il entend bien lui faire par ses réponses. Les écrits de Bossuet sur le quiétisme resteront le modèle de la polémique personnelle, puisque l’imperfection humaine veut qu’il y ait de la polémique personnelle.

Pour le fond, Bossuet s’arrête où cesse la lumière. On ne l’embarrasse point par l’autorité des saints mystiques. La tradition qu’on lui oppose étant récente, et de tolérance plutôt que de discipline, la même raison qui se courbait devant les mystères, et se faisait gloire de n’en pas pénétrer les obscurités vénérables, ne s’émeut point de