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certains raffinemens qui s’autorisent du nom d’un saint. Fénelon le poursuivait de citations de saint François de Sales : « Pourquoi, répondait Bossuet, affecter de répéter ces passages, et faire dire à tout le monde que le saint homme s’est laissé aller à des inutilités qui donnent trop de contorsions au bon sens pour être droites ? » Et ailleurs : « Ce sont des expressions et non des pratiques. » A-t-il d’ailleurs méconnu ou trop peu estimé les délicatesses de la piété des contemplatifs ? Celui à qui l’abbé de la Trappe donnait raison contre Fénelon ne peut être accusé d’avoir fait la part trop petite aux solitaires et aux parfaits. Quoique plus sensible aux vérités de la foi, populaire et du catéchisme obéi en toute simplicité, il entrait volontiers dans les besoins des esprits qui cherchaient un commerce plus intime avec Dieu ; mais il ne voulait les suivre que jusqu’où sa vue pouvait pénétrer. On l’a appelé l’aigle de Meaux ; si cette image n’est pas vaine, il la faut entendre aussi bien de la force de son regard que de la hardiesse de son vol. Or, qui oserait dire qu’au-delà de la portée de ce regard il y eût autre chose qu’illusion et ténèbres ?

Le défenseur du sens propre, Fénelon, est tout entier de sa personne dans ses écrits. Il parle en son nom, il est le plus souvent toute sa tradition. Le moi, si haïssable, même quand il est paré de tant de graces, remplit sa polémique. Le sens propre, l’expérience, disent en effet : moi. De là vient même l’attrait tout particulier de ses écrits. On y voit tous les mouvemens d’un homme d’un esprit extraordinaire, qui défend, non une vérité transmise et universelle, mais des idées particulières, qu’il déclare d’un intérêt médiocre pour le plus grand nombre, et qu’il traite comme sa propre chose, les adoucissant, les atténuant, les modifiant par des correctifs qui faisaient dire à Bossuet : « La vérité est plus simple, et ce qui doit si souvent être modifié marque naturellement un mauvais fond. » Fénelon sait bien ce que les hommes admirent en lui, et c’est par là qu’il se fait voir. On sent dans cette controverse ce désir de plaire, même à ses laquais, dont parle Saint-Simon. Pourvu qu’il sauve la faveur de sa personne, sa cause est gagnée. Il semble qu’il ne cherche qu’un succès personnel dans un débat de doctrine, et son ardeur à se montrer sous un beau jour fait quelquefois oublier ce qu’il se doit. Ainsi, croirait-on qu’un archevêque, un homme de cette vertu, un Fénelon, se défende d’avoir menti ? C’est pourtant ce qu’il fait à satiété. Se contente-t-il du moins d’une protestation en termes généraux, comme il sied à un homme aussi au-dessus du mensonge que le ciel est au-dessus de la terre ? Non. Il établit subtilement qu’il n’a pas pu mentir,