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de duchesse d’Arlington, — déshonorant ainsi la pairie des trois royaumes qu’on lui donnait. Certes, il n’y avait pas de roi qui méritât mieux que George Ier d’être chassé du trône par une révolution et honteusement banni avec sa suite. On n’y pensa même pas. Il personnifiait une haine, et tout le monde fut content.

L’obscurité où cette douloureuse histoire est restée ensevelie jusqu’à la publication de ces documens, et l’impunité historique dont l’électeur-évêque, George Ier et la comtesse Platen ont joui, ne peuvent s’expliquer que par un mot : la passion populaire. L’intérêt protestant qui dominait les intérêts du Nord servait de mobile à la politique anglaise ; c’était lui qui couvrait de son amnistie de si misérables caractères, de si infâmes palais, et des crimes si odieux, lui qui laissait languir et mourir dans sa prison d’Ahlden cette femme intéressante qui n’avait commis d’autre crime que d’être belle, jeune et pure, d’avoir vu de trop près les ignominies de l’évêque et de la favorite, d’avoir bravé cette femme hardie, et d’avoir désiré la liberté. Cette fille d’une Française restait trente-deux années dans les murs de sa citadelle, usait de sa fortune en faveur du pauvre village dont elle « voyait de sa fenêtre, dit-elle, pour toute récréation, la petite rue tortueuse et les habitans levés dès quatre heures du matin, » et y écrivait ces tristes mémoires, publiés après plus d’un siècle, pendant que les créatures que l’électeur de Hanovre traînait après lui allaient s’asseoir paisiblement sur les marches du trône protestant d’Angleterre, et s’y couvrir de toute espèce de titres et d’honneurs en face des populations calvinistes ! Elles souffraient cela en haine de Louis XIV, — et l’on n’a rien dit encore de tous ces mobiles passionnés d’une histoire presque contemporaine, — tant l’histoire est lente à se révéler.


PHILARETE CHASLES.