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des résultats qui tenaient du prodige, les progrès que la civilisation avait faits parmi les peuples depuis trente ans.

Dans ce mouvement des sociétés modernes, l’Angleterre fut la nation qui eut le plus de peine à passer du pied de guerre au pied de paix. La France elle-même, envahie, dépouillée, mise à rançon par l’étranger et comprimée par un pouvoir inintelligent, donna l’exemple de la résignation ainsi que du bon ordre. La transition, si douloureuse pour nous, semblait devoir être cependant plus facile pour nos voisins. L’Angleterre en effet avait dicté les conditions de la paix ; elle s’était adjugé, par les traités, les dépouilles de la France, de l’Espagne et de la Hollande ; elle restait désormais la seule puissance coloniale et la première puissance maritime ; les marchés du monde entier allaient s’ouvrir à son industrie. Parvenue à l’apogée de sa puissance, ne devait-elle pas se trouver aussi en pleine prospérité et avoir enfin son âge d’or ? Avec la guerre avaient cessé les charges extraordinaires qui pesaient sur les contribuables : les dépenses publiques, qui s’élevaient, pour l’année 1814, à la somme inouie de 106,832,260 livres sterling (2,724,222,630 fr.), étaient tombées à 92 millions sterling en 1815, à 65 millions sterling en 1816, et à 55 millions en 1817, réduction de 48 pour 100 en trois années. Ainsi, les sacrifices à faire s’allégeaient pour la nation, au moment même où elle devenait maîtresse de déployer toutes les ressources de son activité.

Des circonstances, au premier abord si décisives, n’exercèrent pourtant aucune influence appréciable sur le sort du peuple anglais ; il y a plus, le retour de la paix fut signalé par un profond malaise. Le travail industriel ne prit pas les développemens que l’on avait lieu de prévoir, et le commerce extérieur diminua tout à coup dans une proportion effrayante : les exportations de l’Angleterre, qui montaient à 45 millions sterling en 1814 et à 51 millions en 1815, descendirent à 41 millions en 1816 et à 35 millions en 1817. En même temps, les délits se multipliaient à l’envi et débordaient l’énergie de la répression. On avait compté, dans l’Angleterre proprement dite, 6,390 accusés pour l’année 1814 ; ce nombre s’éleva soudainement à 7,818 en 1815, à 9,091 en 1816, et à 13,902 en 1817, accroissement de 118 pour 100 en trois années[1].

Le progrès du crime, lorsqu’il se manifeste avec cette rapidité violente,

  1. En 1842, vingt-huit ans après la paix, le nombre des accusés était de 31,309, accroissement de 391 pour 100.