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est toujours le symptôme de quelque trouble dans l’économie intérieure de la société ; mais, comme s’il en fallait d’autres preuves, des émeutes éclatèrent sur plusieurs points du royaume, et les associations secrètes commencèrent à se propager parmi les ouvriers.

M. Porter pense que, si la paix n’amena pas un état de choses matériellement et moralement plus heureux pour l’Angleterre, on doit l’attribuer à l’épuisement où la guerre avait laissé le pays[1]. Je ne veux pas contester d’une manière absolue l’influence de cette cause. Au terme d’une lutte gigantesque, à laquelle avaient pris part toutes les grandes puissances de l’Europe, qui avait mis en mouvement les plus nombreuses armées que l’on eût encore vues depuis l’époque des croisades, et qui avait pris tour à tour chaque contrée pour champ de bataille, les vainqueurs devaient se trouver presque aussi maltraités que les vaincus. De 1806 à 1815, l’Angleterre avait dépensé plus de 21 milliards de notre monnaie à soutenir ou à soudoyer la résistance du principe aristocratique ; elle avait tenu à flot jusqu’à cent vingt vaisseaux de ligne ; son armée de terre et de mer lui avait coûté jusqu’à 71 millions sterling (plus de 1,800 millions de francs) ; pour sauver, pour ranimer, pour ressusciter le malade, Pitt et ses successeurs l’avaient en quelque sorte saigné à blanc. Quelle constitution, soumise à un traitement aussi énergique, n’aurait pas été ébranlée ?

La Grande-Bretagne a recouvré depuis les forces que la guerre lui avait fait perdre. La population, la production et la ’richesse ont repris leur marche ascendante ; cependant le malaise subsiste, les plaies ne se ferment pas, l’agitation continue. Il y a donc d’autres causes à ce désordre que des circonstances dont le temps aurait déjà effacé la trace, à quelque profondeur qu’elle eût été déposée. On les trouvera dans la conduite du gouvernement anglais à l’égard des classes inférieures, conduite marquée au coin de l’injustice et de l’exclusion. Le peuple se plaint rarement des privations qui lui sont imposées, quand il voit les chefs politiques du pays prendre leur part de ces souffrances ; mais c’est trop présumer de sa patience et de sa docilité que de rejeter sur lui seul le fardeau tout entier.

En 1816, la paix venant réduire les dépenses publiques, les ministres et le parlement se trouvaient en mesure d’opérer, dans la quotité de l’impôt, un dégrèvement considérable ; au lieu de modérer les taxes de consommation, qui étaient excessives et que toutes les classes de la population supportaient, l’on jugea plus opportun de supprimer

  1. Porter, Progress of the nation, section IV.