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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/360

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au demi-jour d’un mystérieux crépuscule et trottant sans pesanteur au gré de leurs aspirations infinies ; en un mot, le monde poétique ne fut pour un moment qu’une immense nuit de Walpürgis où la fantaisie mena sa ronde au clair de lune avec les fées, se roula dans le cristal des sources avec l’ondine et les naïades, et dans la flamme vive avec la salamandre. Que de muses charmantes ce réveil d’une mythologie si féconde attira ! et parmi celles qui s’attardèrent autour du merveilleux miroir, combien se laissèrent aller à prendre le reflet pour l’image, le moyen-âge de convention et de théorie pour le véritable, pour le moyen-âge de fait ! Je ne parle pas de Tieck, qui devait, après les temps de délire, aborder par ses nouvelles un monde plus positif, d’où l’on aurait tort cependant de conclure qu’il soit homme à se faire faute, même aujourd’hui, d’une libre escapade au pays des anciens rêves. Je parle encore moins d’Uhland, esprit méthodique et sage, dont l’inspiration, en cette sphère du moyen-âge qu’elle hante volontiers, a toujours choisi la zone plus éclairée, le fond lumineux dont le profil humain se détache. Mais n’est-il pas permis de penser que des natures délicates comme l’étaient Novalis, par exemple, et ce Wackenroeder, qui se rêvait le contemporain de Raphaël, que de pareilles natures, disons-nous, durent, par l’effet de leur illuminisme, se croire pour un moment au sein même de cette existence dont le seul mirage les enivrait ! À ce point de vue, tous deux sont morts à temps ; au moment où l’auteur des Méditations d’un Solitaire cloîtré et le chantre aimé de Henri d’Ofterdingen quittèrent le monde, l’illusion de leur vie était en pleine efflorescence. Ce qu’il serait advenu s’ils eussent survécu à l’heure enthousiaste, on l’ignore. Peut-être auraient-ils persisté, au risque de passer pour retardataires aux yeux de la génération nouvelle ; peut-être aussi se fussent-ils jetés à corps perdu dans les tendances humanitaires et le socialisme, ainsi qu’il arrive à Bettina. Trop souvent, de nos jours, le socialisme n’est qu’un romantisme qui grisonne. Toujours est-il qu’il y avait chez certains des coryphées du mouvement rétrospectif en Allemagne un élément naïf qui, même encore aujourd’hui, se perpétue. De là toute une filiation de muses gracieuses et discrètes, la plupart ignorées du monde et cultivant le germe transmis dans un coin de la Souabe ou de la Thuringe, de la Silésie ou de la Marche. Ne vous est-il jamais arrivé, en parcourant les galeries d’un château, de remarquer parmi les portraits de famille la figure élégante et douce d’un jeune homme dont l’expression mélancolique vous indique d’avance la fin prématurée ? Vous descendez au jardin, et, voyant des enfans s’ébattre sur