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dire, on ne le saurait guère : c’est le chant de l’oiseau sur la branche, la chanson populaire dans sa plus naïve expression. On croirait lire de la prose, tant cette strophe a de simplicité, et cependant la rime vient à point, et la cadence est telle, que vous vous prenez à fredonner, à part vous, je ne sais quel motif imaginaire, comme si cette poésie avait en soi une musique infuse. Il faut avoir vécu parmi ces honnêtes populations de la Souabe, entendu les refrains du vieux temps qui se chantent à la brune sous les tilleuls de l’église, pour comprendre l’idyllique fraîcheur de ces compositions naïves. C’est d’ordinaire l’éternelle histoire du cœur des pauvres jeunes filles, un amoureux qu’on avait, et qui s’est enfui sans tenir ses promesses, les rêves caressés des anciens jours qu’on évoque pour les voir s’évanouir soudain, comme cette plainte jetée à l’écho du vallon, et que la brise emporte. « Temps des roses, hélas ! que tu as passé vite ! es-tu donc passé pour jamais ? Ah ! si mon amoureux m’était resté, je ne souffrirais pas de la sorte. En honneur de la belle moisson, elles chantent toutes, les faucheuses ; mais, moi, triste et pauvre engeance, rien d’heureux ne m’attend ici-bas. A travers la prairie en fleurs je me glisse perdue en mes songes jusque vers la montagne où mille fois il m’a juré fidélité, et là, sur le versant, je pleure à l’ombre du tilleul, tandis qu’à mon chapeau le vent agite le ruban rose qu’y attacha sa main. » Ainsi finit le doux motif, ou, pour mieux dire, il ne finit pas, car c’est le caractère, car il entre dans le caractère même de ces émanations élégiaques de laisser l’imagination en suspens, de s’arrêter en l’air comme ces mélodies de Weber et de Schubert, désespoir éternel des amateurs de la symétrie musicale. Un soupir de harpe éolienne, un ruban qui flotte, une larme, voilà toute cette poésie. Libre à vous de passer outre, et même de sourire, si vous n’avez pas la note sympathique. Cependant il est dans ce mince volume de M. Édouard Moerike mainte chanson d’un naturel charmant auquel il faut qu’on s’attendrisse ; et pour peu que vous vous souveniez de la complainte que psalmodie à son rouet la divine Marguerite de Faust, vous aimerez l’histoire de cette pauvre délaissée dont un mal pareil trouble la vie :


« De bonne heure, avant que le coq chante, avant que l’étoile ait pâli, je descends et j’allume le feu.

« La flamme naît, l’étincelle pétille, je regarde la flamme et l’étincelle, toute plongée en ma douleur !

« Et soudain il me revient, cruel enfant, que j’ai rêvé de toi toute la nuit.

« Larmes sur larmes coulent de mes yeux ; ainsi le jour s’écoule ; ah ! que ne revient-il ! »