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procédé. Le docteur Julius comparait dernièrement dans sa chaire de Koenigsberg la prose de M. Heine à un paradis terrestre, pour la richesse et le luxe de la végétation. J’admets volontiers le paradis terrestre, à condition qu’on n’oubliera pas le serpent. Arrivons à M. Édouard Moerike.

Vis-à-vis de MM. Heine, Herwegh, Freiligrath, de tous les dilettanti de l’Allemagne littéraire contemporaine, M. Édouard Moerike est un poète naïf : bien entendu qu’il ne saurait être ici question que, d’une naïveté relative, d’un certain état d’innocence où la fantaisie vit cloîtrée en dehors des bruits et des menées du jour. De tout temps, et cela même au moyen-âge, la période naïve par excellence, des muses bien distinctes se sont trouvées en présence : la muse qui a conscience et celle qui ne l’a pas, la poésie d’art en un mot et la poésie populaire. Il va sans dire qu’aujourd’hui l’art prédomine. Encore en Allemagne trouve-t-on çà et là quelques individualités du genre de celle qui nous occupe. Chez nous, avouons-le, ces individualités deviennent plus rares. Ce sens naïf dont nous parlions tout à l’heure, cette virginité de l’intelligence, si tant est que nous l’ayons jamais eue, voici bien long-temps que nous l’avons perdue. Ainsi, Victor Hugo, Béranger, Sainte-Beuve, sont des artistes dans toute la force de l’expression, des natures en qui la faculté critique et la faculté imaginative marchent au moins de front. Pour trouver l’instinct naïf proprement dit, il faudrait s’adresser aux vocations féminines, et là même combien rares sont les exemples ! Je ne vois guère que Mme Desbordes-Valmore qu’on puisse citer, car ce n’est ni l’auteur des Glanes, ni l’auteur de Napoline, esprits avisés, talens avant tout littéraires, qu’on rangera parmi les muses simples et qui s’ignorent. N’importe, cette rêverie, en général, a des charmes, et j’aime à l’opposer au dilettantisme du moment. Tandis que la muse de M. Freiligrath parcourt, en oiseau de passage, toutes les zones de l’univers, et va des mers de glace au Sahara, tantôt arrêtant son vol sur l’arbuste embaumé des tropiques, tantôt couvant de l’aile au bord du Nil des œufs de crocodile, on se prend à suivre les modulations du rossignol qui vocalise au clair de lune sous le tilleul du voisinage ; et ce poète qui, sans vouloir sortir du cercle un peu restreint de son domaine, se fait modestement l’écho des chastes voix de la nature et des soupirs du cœur, a souvent touché de plus près à la véritable originalité que celui dont l’imagination se met si fort en frais pour nous décrire la ceinture du cheick du Sinaï ou les mœurs des nègres du Congo.

Donner le procédé de cette poésie de M. Édouard Moerike, à vrai