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À quelques pas de là, notre poète rencontre les sources de la vallée. Aussitôt, comme vous pensez, le motif favori lui revient, et nous le voyons interroger de nouveau cet esprit de la nature dont il semble pressentir la vie élémentaire sous la transparence des eaux.


« Montrez-moi, s’écrie-t-il, ô sources ! montrez-moi vos cellules tapissées de mousse, montrez-moi, au plus secret du bois, les matrices profondes où s’élaborent vos ondes impétueuses avant de s’épancher en cascades sur les rochers et la vallée. »


Je regrette de ne pouvoir donner aucune idée du grand air que respirent ces stances, du vigoureux métal dont se composent ces octaves. Ici, on peut le dire, le poète est digne de son interlocuteur, et cortes il faut que l’esprit de la nature ait fait vœu d’un mutisme impitoyable pour ne pas répondre à qui l’interroge sur ce mode antique et solennel. Que de grace encore et de tendre émotion dans le tableau des premières amitiés dont ce paysage lui rappelle les beaux jours ! Il évoque du sein des touffes de feuillage le camarade de son enfance :


« O toi qui jadis fus un autre moi-même, oh ! viens, cher enfant, viens sans crainte ; aujourd’hui encore nous nous ressemblons, et jamais nous n’aurons à nous effrayer l’un de l’autre. »


Mais en vain il étend les bras, en vain il conjure la place, le feuillage reste immobile, et sur le banc accoutumé l’ami d’autrefois ne revient pas s’asseoir : « Adieu donc, ô vallée ! soupire alors le poète en s’éloignant le cœur gonflé de larmes : adieu, seuil paisible de mon existence, foyer où je puisais le meilleur de mes forces, nid embaumé des premières sensations, adieu, je pars, et que ton génie m’accompagne. »

Il y a plus : maint fragment de ce trop court volume, surtout dans la dernière partie, témoigne d’un commerce assidu des anciens. Sans parler de diverses traductions de Catulle heureusement venues (le choix n’indique-t-il pas ici certaine affinité de complexion ?), on noterait çà et là telle pièce où le symbolisme antique se mêle, non sans charme, aux détails un peu réels de nos pratiques modernes : le poème intitulé Têtes d’Automne, par exemple, dans lequel Dionysos évoqué se révèle, en vrai dieu légitime qu’il est, à ces bons paysans de la Souabe. Garçons, filles et matrones, sont rassemblés pour les vendanges, déjà la fête va son train ; mais voyez donc, sous ces bosquets, ce marbre festonné de pampre et de lierre. Quel air rêveur ! Serait-ce là Bacchus ? « Viens te mêler à nos groupes joyeux, s’écrient les vendangeurs, viens, ou du moins fais-nous signe de la main que tu nous