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devant notre gouvernement : qu’importe, pourvu qu’ils cèdent, pourvu qu’ils se dispersent, et que leurs associations soient dissoutes ? Nos lois, pour exister, n’ont pas besoin du témoignage des jésuites, et notre gouvernement peut se passer de leur estime comme de leur affection.

On a dit que la négociation avait échoué, en ce sens que ce sera le général de l’ordre et non le pape qui prononcera la dispersion des jésuites de France. Ce raisonnement n’est pas digne d’une opposition sérieuse. Personne ne croira que le saint-père soit demeuré étranger aux concessions obtenues par notre gouvernement ; personne ne supposera que le général des jésuites se soit engagé à dissoudre les établissemens de France sans l’aveu du pape et sans son adhésion formelle. La cour de Rome, soit pour ne pas froisser ceux des membres du clergé français qui ont appuyé ouvertement les prétentions des jésuites, soit par ménagement pour les jésuites eux-mêmes, a pu vouloir que son intervention fût laissée dans l’ombre, et que l’initiative parût appartenir au général de la société. On ne peut qu’approuver cette réserve, qui n’ôte rien à l’efficacité des mesures concertées avec le saint-siège, et qui a dû rendre l’issue de la négociation plus facile.

On connaît peu jusqu’à présent les circonstances qui ont précédé ou accompagné la négociation de M. Rossi. Voici sur ce sujet quelques détails dont nous pouvons garantir l’exactitude.

Jusqu’au rapport de l’honorable M. Thiers sur le projet de loi de l’enseignement secondaire, la gravité de la question des jésuites avait peu frappé l’esprit des ministres du 29 octobre. M. Martin du Nord tranquillisait ses collègues en leur répondant des intentions du clergé ; M. Villemain exprimait des inquiétudes que l’on écoutait peu ; l’entente cordiale occupait toutes les pensées de M. Guizot. Enfin, quand la chambre eut choisi M. Thiers pour être l’interprète de ses sentimens sur cette question, le ministère ouvrit les yeux. Ce choix significatif de l’illustre chef du centre gauche nommé par la majorité malgré les efforts du parti ministériel, l’effet de cet évènement dans le pays, la joie qu’en ressentirent les vrais amis des libertés constitutionnelles, tout cela fit comprendre au gouvernement qu’il fallait agir.

Divers moyens furent proposés et repoussés. M. Guizot fut le premier, dans le conseil, qui parla d’envoyer un négociateur à Rome, chargé de réclamer l’intervention du saint-siège. Cette proposition fut d’abord trouvée assez étrange par les collègues de M. le ministre des affaires étrangères. Les uns pensèrent que la négociation ne pourrait réussir, les autres que le gouvernement, en cas d’échec, se trouverait placé dans une situation plus difficile qu’auparavant, puisqu’après avoir forcé la cour de Rome à entrer dans la lutte, il aurait sur les bras deux ennemis au lieu d’un. On se demandait en outre quel serait le négociateur qui consentirait à jouer sa fortune diplomatique dans une mission pareille. Cependant le conseil finit par adopter le projet de M. Guizot, et M. Rossi, que ses talens, sa renommée, les qualités particulières de son esprit, et une certaine finesse italienne,