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rendaient merveilleusement propre à cette négociation, partit pour Rome avec des instructions précises, qui réclamaient la dispersion des jésuites de France et la fermeture de leurs établissemens.

Tous ceux qui étaient à Rome lors de l’arrivée de M. Rossi s’accordent à dire que l’entrée du négociateur français dans la ville éternelle n’a pas été triomphale. L’accueil du pape Grégoire XVI fut courtois et affable ; mais la haute société romaine, complice des intentions du sacré collége, reçut M. Rossi avec une froideur marquée. En homme habile, M. Rossi parut ne pas s’apercevoir de ces dispositions malveillantes. Il vit les cardinaux, les personnages influens ; il les reçut chez lui ; on ne parla plus bientôt que de son esprit et de ses dîners ; on se rapprocha de lui, on l’entoura. Néanmoins la négociation n’avançait pas. M. Rossi prenait faveur, mais les jésuites n’avaient pas perdu un pouce de terrain, et les dépêches que M. Guizot recevait de Rome étaient loin d’être rassurantes. Le ministère commençait à s’inquiéter.

Sur ces entrefaites eurent lieu en France les interpellations de M. Thiers, suivies de l’ordre du jour motivé qui mettait le ministère dans la nécessité d’exécuter les lois du royaume contre les jésuites. Aussitôt M. Rossi s’empara de cette manifestation pour frapper l’esprit de la cour de Rome. Armé d’une dépêche énergique de M. Guizot, il démontra l’urgence d’une concession ; il tint un langage plus pressant ; il fit des représentations plus vives. Dès-lors on l’écouta ; des conférences eurent lieu, et la négociation marcha rapidement. Le cardinal Lambruschini, connu autrefois pour ses opinions exaltées, et peu favorable jusqu’ici à la cause du gouvernement de juillet, fut l’ame d’un projet de conciliation qui triompha enfin des résistances entretenues autour du saint-siège. Toutes les concessions demandées par M. Rossi furent accordées. Seulement, pour ménager l’amour-propre des jésuites et les susceptibilités du clergé français, on convint que le général de l’ordre interviendrait dans l’application des mesures consenties par la papauté. Des gens qui se prétendent bien informés, et qui aiment à sonder les replis du cœur humain, disent que le général des jésuites accomplira sans regret la mission dont il s’est chargé. Une chose le console, c’est que les jésuites de France possèdent aujourd’hui quinze ou seize millions, que le bon père, sans doute dans l’unique intérêt de la société, trouverait mieux placés à Rome qu’à Paris. Cette considération, dit-on, n’aurait pas été sans influence sur les engagemens qu’il a pris, et qu’il a déjà exécutés, car, au moment où nous écrivons, l’ordre de la dispersion des jésuites est venu en France. La dissolution de leurs établissemens est prononcée.

Néanmoins, M. Rossi restera encore quelque temps à Rome pour assurer les résultats de la négociation. Le ministère compte sur l’utilité de ses démarches dans le cas où des résistances inattendues feraient naître des difficultés nouvelles. D’ailleurs, les instructions dont il est chargé comprennent un point qui n’a pas encore été résolu. Il s’agirait des lazaristes, en faveur