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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/396

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la persévérance, la hardiesse, l’héroïsme du génie ; mais là s’arrêtent les ressemblances. L’inventeur crée, sa critique suppose un dogme, son idée doit maîtriser les évènemens, l’avenir est à lui, Dieu pense dans sa pensée comme s’il l’avait choisi pour corriger la création. L’enthousiaste est le jouet de la tourmente révolutionnaire, la victime de sa propre critique ; il prend le passé pour l’avenir, et il reste seul avec ses idées dans les espaces imaginaires de l’erreur, sans jamais toucher à la réalité. L’inventeur a une postérité ; l’enthousiaste n’a que des ancêtres. Ainsi, dans la crise sociale du moyen-âge, Abélard devance saint Thomas ; le Sic et Non est la préface de la grande concordance de la Somme, et le doute d’Abélard se propage et grandit à travers les siècles. Les millénaires, pour renverser l’église, annoncent une nouvelle incarnation, de sorte qu’ils reviennent au point de départ du christianisme : l’église triomphe. Quand la crise se renouvelle plus tard, Campanella annonce Bacon ; Bacon trace le programme du XVIIIe siècle. Dès-lors on voit qu’un monde nouveau doit surgir ; le moyen-âge est condamné à mourir. Guillaume Postel, les frères de la Rose-Croix, Robert Fludd, ces nouveaux millénaires de la renaissance, évoquent les sciences occultes. Ce n’est pas à l’expérience, c’est à la magie, à l’astrologie, à l’alchimie, à l’apocalypse, qu’ils demandent la manifestation des temps modernes. Les nouveaux millénaires disparaissent à leur tour sans jouer aucun rôle dans l’histoire. Rien n’est plus logique : dès que l’intelligence travaille sans l’appui d’une découverte, il faut qu’elle se répète, et quand ses erreurs se trouvent en présence des faits, elles doivent s’évanouir.

L’enthousiaste le plus ardent et le plus excentrique de nos jours, Fourier, est aussi l’homme qui, tout en croyant marcher vers un avenir indéfini, a reculé le plus loin dans le passé. Il annonçait un nouveau monde industriel ; on l’a cru sur parole, on l’a proclamé, comme Saint-Simon, le génie qui venait achever d’un seul coup l’œuvre de la révolution française. Il a séduit, il devait séduire, car le grand œuvre de la philosophie n’est point terminé. La révolution a posé des prémisses, les préfaces de nos codes ont proclamé des principes, qui ouvrent d’infinis horizons à la libre activité de l’esprit humain. La critique est donc inévitable, la discussion légale, le mouvement nécessaire ; ni la science des intérêts ni celle du droit n’ont prononcé leur dernier mot. On veut malheureusement devancer, brusquer l’œuvre de la raison. De là cette exaspération de la minorité qui prend le nom de parti social, ce désespoir, cette impatience, qui se formulent dans les erreurs du communisme. Au milieu de ce mouvement, que sont devenus les deux chefs des socialistes ? L’effervescence révolutionnaire leur avait donné des adeptes ; ils avaient fondé deux sectes, et aujourd’hui le saint-simonisme a disparu, le fouriérisme seul survit, mais à la condition de résoudre de nouveau un à un tous les problèmes que Fourier avait résolus d’un seul trait. C’est dire que, si le saint-simonisme s’est dissout, le fouriérisme doit se convertir en masse ; dès à présent même, il ne vit plus que comme une fraction excentrique du parti radical, dont il usurpe les tendances et revendique les succès. Un rêve maladif